Un peu de recul #3 : des nouvelles et des réflexions

Voici ma nouvelle série, un peu de recul. Pour partager, sans pression et sans objectifs, des lectures, des écoutes, des visionnages ou toutes autres interactions qui m’ont marqué, touché ou fait réfléchir. Ou simplement des pensées. J’espère que ça vous intéressera.
Certain⋅e⋅s d'entre vous l'auront peut-être remarqué (ou pas), ça tourne au ralenti chez moi en ce moment. Changement de lieu, de cadre, de rythme de vie, que je suis toujours en train de digérer. Un boulot salarié à 3/5ᵉ chez Agate Territoires. Un temps partiel prenant, mais très complémentaire de mes missions d'indépendant. Une actualité nationale et mondiale éprouvante, sur le plan émotionnel et cognitif. Beaucoup de choses sur le plan personnel enfin. J'y reviendrai dans la prochaine newsletter, que j'enverrai ce mois-ci, sans faute ! Bref, ça tourne au ralenti sur ce site, ce qui est par ailleurs un exercice intéressant pour moi, avec l'impératif de canaliser mon côté... impétueux.
Beaucoup d'interrogations en ce moment
Voici quelques-unes de mes interrogations les plus tenaces. Si certaines ou plusieurs d'entre elles vous inspirent ou vous parlent, n'hésitez pas à m'écrire et à échanger.
Passer en CAE, ou rester en SASU ? Le format CAE me plait profondément, pour les valeurs, le collectif. Mais la bascule m'inquiète, en termes d'énergie et de temps nécessaire (je n'en ai pas), en termes financiers (la SASU est imbattable sur ce plan, d'autant que la transition représenterait un surcoût, le temps de fermer). J'ai entamé des discussions avec une CAE qui me plait beaucoup, Astrolabe. J'en ai identifié d'autres. Je continue de faire mouliner, rien ne presse.
Je me pose régulièrement la question du partage de ma veille. Est-ce utile à d'autres ? Est-ce que ça m'est utile à moi ? Mes intérêts évoluent, et j'ai envie d'aller au-delà des enjeux du numérique pour ceux de l'écologie, des organisations, de l'éducation, et bien d'autres. Est-ce que ça peut rentrer dans ma veille ? J'imagine que oui, je fais bien ce que je veux, d'autant que cette veille est bénévole (même si vous pouvez me soutenir). Je me demande si ce ne serait pas plus intéressant de monter le niveau de cette veille, de l'éditorialiser plus, de l'accompagner plus systématiquement d'analyses, et de la proposer à prix libre (avec une logique de newsletter à la Kessel ou Ghost). Bref, plein d'interrogations là aussi.
Je me pose un peu de la même manière la question de ma newsletter. La dernière date de janvier. Dois-je maintenir un rythme mensuel, ou passer à du trimestriel ? Si ce qui intéresse le plus les lecteurices de cette newsletter, c'est ma veille (c'est ce qu'ils avaient indiqué dans un sondage que j'avais envoyé), dois-je revoir le format ? Cette newsletter est-elle vraiment utile, ou n'est-ce que du bruit et un peu de pollution numérique de plus dans l'immensité du web ? Là encore, ne serait-ce pas intéressant de faire monter le niveau de cette newsletter, comme évoqué ci-dessus avec la veille qui est un sujet lié ?
Enfin, je m'interroge sur les prochains projets (rémunérés et non rémunérés) sur lesquelles j'ai envie de mettre mon énergie. Parmi les possibles projets rémunérés, j'aimerais accompagner plus d'organisations d'intérêt général dans leurs réflexions et leur transformation alternumérique (j'ai déjà esquissé une offre dédiée pour cela). J'aimerais me relancer dans un cycle de conférences/débats ouverts, idéalement en trouvant un modèle économique tenable. Un mix hybride en ligne/en présentiel. Parmi les projets non rémunérés, j'aimerais avancer sur Numériquoi. Je pense que ce projet a énormément d'intérêt et de potentiel. Mais là encore, c'est énorme, et je pense que je devrais, et pourrais, trouver un modèle économique tenable. Bien sûr, j'aimerais retrouver du temps et de l'énergie pour écrire plus d'articles sur ce site et ailleurs, pour poursuivre des réflexions, en entamer d'autres. Encore une fois, plein d'interrogations.
Quelques partages de lectures et réflexions
Vaut-il la peine de survivre [comme se le demande Ivan Illich], dans « un monde transformé en hôpital planétaire, en école planétaire, en prison planétaire et où la tâche principale des ingénieurs de l’âme sera de fabriquer des hommes adaptés à cette condition » ? (…)
C'est une question qui m'obsède. Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, comme l'a poétiquement résumé Corinne Morel Darleux. Et qui me fait résolument pencher dans le camp de l'écologie, et pas dans le camp du climat. La distinction est importante. Je suis presque certain que nous réussirons à nous adapter à la crise climatique. Mais à quel prix ? Combien d'entre nous ? Dans quel monde ? Restera-t-il du vivant non humain, des arbres, des oiseaux ? Pourrons-nous encore respirer de l'oxygène sans être dans un bâtiment pressurisé ou équipé de masque ?
Nous vivons dans un monde halluciné sous LSD il y a quarante ans, alors que nous avons besoin d’inventer sobrement le monde où nous vivrons dans quarante ans
Je n'ai pas retrouvé où j'avais piqué cette citation. J'ai cherché sur Duckduckgo, et même sur le moteur de recherche dont on ne doit pas prononcer le nom. Comme quoi, peut-être que Google Search (han j'ai prononcé son nom) perd vraiment pied avec ses résultats. Plus sérieusement, je l'ai trouvée percutante, donc je la partage, mais si vous savez d'où ça vient, n'hésitez pas à me l'écrire, que je rende hommage à cette personne.
Je n'ai pas trouvé le temps et l'énergie de réagir à l'article qu'a rédigé Karl Pineau, en réaction à ma critique du numérique responsable. Je pense que je le ferai, car si je suis très heureux d'avoir contribué à faire réfléchir l'écosystème, certains aspects de l'article m'ont posé question. À commencer par le fait que Karl mélange selon moi la responsabilité numérique [des organisations] et le numérique responsable, qui n'ont absolument pas la même sémantique, donc pas le même sens, et pas la même portée politique. En revanche, cela fait un moment que je voulais vous partager la très puissante enfilade publiée par Dominique sur Mastodon, peu de temps après la publication de l'article de Karl.
La radicalité ne se décrète pas. Elle est une intransigeance, une rudesse politique. Etre radical, c'est aller au bout et au fond du projet initial. C'est imaginer une alternative politique et philosophique. Et pour ce faire, autant avoir une vraie boussole politique. Le clair-obscur y est banni.
Un numérique responsable n'est aucunement une radicalité, car elle est porteuse de moralité, et c'est méconnaître toute la portée philosophique du terme que Levinas, entre autres, a tenté d'apporter.
Le numérique est un plurivers. En cela, il est porteur et consanguin d'un projet politique. C'est un monstre qui est né dans le clair-obscur de la mondialisation (si je devais reprendre une métaphore gramscienne). Il est un projet hégémonique culturel qui a été mené à bien et encouragé.
Il n'est en rien émancipateur, il ne l'a jamais été et ce malgré les chantres et les promesses du début. S'en détacher est le plus grand défi, avec le changement climatique, auquel l'humanité est confrontée
Aussi certains billets de blog qui font état d'un numérique acceptable, d'un numérique responsable ou de je ne sais quel oxymoron ne sont pas porteurs d'une quelconque radicalité. Le numérique est devenu aujourd'hui une condition anthropologique de notre civilisation. Ne pas prendre en compte ça, c'est se fourvoyer en long et en large. Et c'est une condition née de l'ère de la mondialisation. Tant qu'on n'aura pas compris ça, toute avancée sur la question est vouée à l'échec.
Pour finir, je suis tombé, par les hasards de la sérendipité, sur un vieil article du vénérable Owni. Il m'a semblé bon de vous le partager, car cet article date de 2012, et que force est de constater que peu de choses ont changé depuis.
Je reste l’éternel optimiste, je ne crois pas qu’Internet puisse être transformé au point de revenir à un monde dans lequel il faut avoir des amis, du pouvoir ou de l’argent pour avoir la possibilité d’exercer son droit à la liberté de parole “sans considération de frontières”.
Je veux croire que Facebook n’est qu’une mode passagère et que le public saura se détourner d’un Apple qui le prive de toute liberté d’utiliser comme il le souhaite le terminal qu’il possède.
Je veux croire qu’avec un peu de bouteille, les gens se détourneront des services gratuits d’un Google qu’il échange avec la confidentialité de ses données, de ses mails et de sa vie entière pour revenir à des services locaux, pourquoi pas à en réinstallant chez eux des serveurs de mail, pour commencer.
Cet article date de 2012. Que s'est-il passé depuis ? Meta règne en maître avec ses différents réseaux sociaux, et Google est hégémonique comme navigateur web (Google Chrome), moteur de recherche (Google Search), source de divertissement et d'information (Youtube), système d'exploitation mobile (Android). Je ne sais pas si je suis optimiste, mais je reste combatif et persuadé que seule une éducation résolument populaire, technocritique, politique et émancipatrice au numérique qui permettra de tendre vers un numérique acceptable. J'explore ce sujet sur ce site, et j'espère que nous serons de plus en plus nombreuses et nombreux à nous en saisir. Car aujourd'hui, j'en suis de plus en plus intimement persuadé, face aux rouleaux compresseurs que constituent les géants du numérique, une éducation passive, descendante, apolitique ne peut que faire le jeu d'une numérisation as usual. En formant les futurs travailleur⋅se⋅s et consommateur⋅ice⋅s dociles du monde numérique
C'est tout pour aujourd'hui, merci pour votre lecture !