Un web divisé en deux ?

Un bon article de Morgane Tual dans Le Monde, sur l'évolution des pratiques numériques sur les réseaux sociaux. Le morcellement des communautés qui sont de plus en plus isolées les unes des autres. L'essor des messageries privées, au détriment des fils d'actualité publics. Globalement, le déclin d'un « web commun » qui nous permettait encore un peu de faire culture commune. Et le constat d'un web fondamentalement divisé en deux : celles et ceux qui produisent du contenu, et celles et ceux qui consomment du contenu.
La vaste agora que devait être le Web n’est plus – si tant est qu’il l’ait un jour vraiment été. Ce cyberespace rêvé par les premiers idéalistes d’Internet, où chaque parole pourrait s’exprimer à égalité, pour venir nourrir un débat public, mondial, plus riche que jamais, a fait long feu. [...]
Le Web public se divise désormais en deux : ceux qui regardent et ceux qui sont vus. « Une minorité d’utilisateurs produisent la grande majorité des contenus », constatait ainsi, en février, une étude de l’institut américain Pew Research Center sur TikTok. Des créateurs de contenu de plus en plus professionnalisés, nouvelle caste du Web, qui prennent sur eux la charge de l’impudeur générale. Influenceurs ou aspirants, experts du selfie, du récit de vie, de la mise en scène et de la monétisation de soi.
Le Monde - Pour les réseaux sociaux, la fin d’un règne ? (réservé aux abonné⋅e⋅s)

Cette conclusion fait bien sûr écho à ce que j'écrivais récemment dans Le web n’est pas qu’un supermarché ! Je concluais ainsi.
Je pense qu’il nous faut un sursaut collectif pour ne pas laisser le web devenir un énième espace exclusivement privé, consumériste, marchand, publicitaire, surveillé. Il faut faire vivre le web communautaire, associatif, non-marchand, non lucratif, créatif, artistique. Aux acteur⋅ice⋅s de l’éducation au numérique, il faut développer les pratiques créatrices en lignes[efn_note]À ce sujet, lire Éduquer au numérique d’accord. Mais pas n’importe lequel et pas n’importe comment – Partie 2 : l’enseignement scolaire[/efn_note]. À celles et ceux qui étudient les pratiques culturelles, il faut s’intéresser à ce que créent et partagent les gens en ligne, pas seulement à ce qu’elles et ils consomment.
Cela me fait également penser à cette citation d'Aaron Schwartz, que je reformule en français : « sur le web social, tout le monde peut s’exprimer, mais qui sera entendu ? ». À cette question qui était incroyablement prémonitoire compte tenu de l'évolution des réseaux sociaux, TwitterX en particulier, s'en pose une nouvelle : « sur le web social, tout le monde peut s'exprimer, mais qui s'exprime réellement ? Et dans une société de plus en plus polarisée et brutale, qui s'exprimera demain ». On sait que tout le monde ne s'exprime pas sur le web. Comme en dehors. Il y a un travail immense, à la fois éducatif et technique, pour créer de nouveaux espaces de contribution sur le web. C'est un sujet passionnant, et que je continuerais d'explorer, car cela rentre tout à fait dans ce que j'appelle l'alternumérisme radical.
Photo de Jimmy Ofisia sur Unsplash