Éloge du bug, version RATP

Hier matin, j'ai dû payer 50 € d'amende (au passage, le montant est énorme !!!) pour ticket non validé. En bonus, une discussion vraiment déplaisante avec deux contrôleur⋅se⋅s, du stress, du temps de perdu entre deux correspondances. Et un sentiment d'injustice immense.

Parce que j'avais bien un carnet de tickets acheté l'avant-veille sur l'appli SNCF Connect, et stocké sur mon smartphone. Que tout avait bien fonctionné à l'aller. Qu'au retour, j'avais pu « badger » avec mon téléphone, la porte s'était ouverte, le clignotant vert s'était allumé. Bref, je me sentais en règle. Malheureusement, en arrivant à la gare de Lyon, des contrôleurs m'ont appris, à ma grande surprise, que ce n'était pas le cas. J'ai essayé de l'expliquer à mes contrôleurs, avec le plus de pédagogie dont j'étais capable dans mon énervement croissant. Sans succès.

S'en est ensuivi une discussion déplaisante, donc, et pour un observateur du numérique, surréaliste. Car après avoir entendu mes explications, les contrôleurs m'ont donné trois choix : payer 50 € d'amende tout de suite. Payer 100 € avec frais de dossier. Ou attendre la police. Rien de ce que j'ai pu expliquer sur mon trajet, ou sur mes bonnes intentions (un carnet de tickets presque plein sur le smartphone), ou sur le bug visiblement technique qui s'était déroulé, n'a pu altérer les trois choix qui m'étaient donnés. Ça m'a rappelé Benjamin Bayart et sa formule choc : « l'ordinateur est fatal ». Sauf que là, j'avais des humains en face de moi.

Ce qui m'a également sidéré, c'est que la contrôleuse, agacée, finisse par me dire « le système marche parfaitement Monsieur, il n'y a jamais d'erreur ». Pardon ? Je ne sais pas si c'est la RATP qui raconte ça à ses contrôleurs pour les rassurer, mais si c'est le cas, c'est grave. Il y a, et il y aura toujours des bugs1 dans un système informatique. Aucun ne peut fonctionner à 100 %, et surtout un système récent proposé par la RATP, qui est une machinerie complexe.

Ce qui m'amène à une interrogation, au-delà de mon cas personnel : comment est-ce possible que les contrôleurs ne puissent pas vérifier, attester, ou a minima accepter la possibilité de bugs ? Pourquoi ne peuvent-ils pas « négocier » les amendes, et dans mon cas, me prélever un ticket puisque c'est en l’occurrence ce qui n'a pas fonctionné, et que mon carnet était disponible. Ou alors, avoir des niveaux de gestion exceptionnellement plus fins, qui remontent un cran plus haut dans la hiérarchie ou le « support usager » ? Je ne suis pas naïf, je suis bien conscient qu'il y a une raison économique à cette stratégie de contrôle et d'amende2. Visiblement, on n'a pas le droit à l'erreur à la RATP, et c'est la stratégie de la pêche au gros (l'une des moins durables par ailleurs) qui prime ici. Mais je pense qu'il y a aussi une vision (ou un impensé) particulièrement technosolutionniste qui pense que la « machine ne se trompe pas » et qu'il n'est donc pas nécessaire de donner des marges de manœuvre aux humains. C'est évidemment une grosse erreur.

Édit 1 : un détail de l'histoire qui a également son importance, c'est qu'au moment du contrôle, les contrôleurs m'ont dit que j'étais en tort, parce que je n'avais pas vérifié que mon carnet de tickets avait bien été utilisé. Hallucinant. Je leur ai demandé s'ils pensaient que je n'avais que ça à faire, après ouverture de la porte, d'aller sur l'application SNCF Connect, et de me frayer un chemin jusqu'au système de titres de transport pour vérifier le nombre de tickets restants. Et de demander comment j'aurais pu faire cette vérification si j'avais utilisé un autre système moins numérique : le pass Navigo Easy. Pas de réponse de leur part, évidemment, mais on voit donc bien qu'il y a ici un système qui n'assume pas ses éventuels dysfonctionnements, et ne permet pas de juger de la bonne foi de ses usagers. Contrairement à un billet de métro papier, où le poinçonnage ou l'horodatage permet une vérification simple. Les chercheuses Chantal Enguehard et Anaïs Danet (Merci Julie Brillet pour le partage !) parlent de Systèmes Inéquitables Numériques, et leur article de recherche est autant passionnant que révoltant. Plusieurs internautes m'ont également rappelé le scandale de la Poste britannique, qui a accusé plusieurs de ses agents d'avoir commis des détournements d'argent, les conduisant vers la sortie, voire au suicide. Avant qu'une enquête publique conclue que le logiciel de comptabilité, responsable des accusations, était défectueux. Là encore, il semblait impossible pour les cadres de la Poste britannique que le logiciel soit dysfonctionnel, la faute incombait forcément aux agents. Cruel impensé du fonctionnement de la technique...

Édit 2 : j'ai reçu une première réponse à ma réclamation. Pour l'instant, non seulement on me dit que j'étais tenu de présenter mon titre de transport (c'est hors sujet, puisque j'avais bien mon titre de transport, c'est simplement qu'il a dysfonctionné) lors de mon trajet, mais qu'ayant payé l'amende, « cette transaction vaut ainsi reconnaissance de l’infraction » ! Je réalise donc que les controleurs m’ont sciemment mis en erreur, car pour contester l’amende, il aurait fallu que je paye les 100 € au lieu des 50 € (en mode casino, joue double pour essayer de te refaire). Or ce n’est clairement pas comme ça qu’ils me l’ont présenté. Ça me rend dingue, et pour 50 €, je ne vais pas en rester là. J'ai honte pour la RATP, un service public bordel, et j'ai la rage pour toutes celles et ceux qui payent une amende injustifiée sans avoir le temps, l'énergie ou les moyens de la contester.

Édit 3 : le 25 novembre 2024, la médiatrice de la RATP a émis l'avis suivant : « sans remettre en cause le fondement de la verbalisation, j’estime qu’il y a lieu de tenir compte de votre bonne foi dans le traitement de votre affaire ». Sur le principe, c'est déjà ça. Mais c'est vraiment problématique que personne à la RATP ne soit capable d'enquêter plus sérieusement sur ce qu'il s'est passé. Car oui, il peut y avoir des bugs informatiques à la RATP, comme partout ailleurs.

Édit 4 : plusieurs personnes m'ont déjà contacté pour me faire part de mésaventures identiques ou quasi identiques à la mienne. Je ne suis pas étonné que le bug qui m'a affecté en affecte d'autres. J'espère que la RATP va enquêter sérieusement...

Photo de Alan Emery sur Unsplash

Notes de bas de page

  1. Le titre de cet article est un clin d’œil à l'ouvrage Éloge du bug, de Marcello Vitali-Rosati. Vous pouvez le découvrir dans un épisode du code a changé.
  2. En réalité, les amendes constituent même une partie du modèle de rémunération appliqué à la RATP (source)

Cet article a été mise à jour le 12 juin 2025