Ecosia Browser, ou quand le greenwashing numérique fume la moquette tout en plantant des arbres

C'est insignifiant par rapport à ce qui se passe partout dans le monde. Mais tant pis, ce sera ma catharsis du jour. Et surtout, voilà l'illustration XXL du « numérique responsable » et du technosolutionnisme que je combats (à ce sujet, lire mon article : Numérique responsable, critique d’un oxymore). Voici donc mon rapide débunkage de l'article de promotion du nouveau navigateur proposé par Ecosia. Vous le trouverez à cette adresse.

« L'action en faveur du climat devrait être gratuite pour tous ». Cette phrase (la première de l'article !) n'a aucun sens. Déjà parce que l'action, en faveur du climat ou pas, ne peut jamais être gratuite, et surtout pas pour tout le monde. Ne serait-ce que pour les organismes publics en responsabilité, les entreprises. Mais même pour nous, les citoyennes et citoyens. Toute action a un coût, en terme financier, de confort, de changement de ses habitudes. C'est vrai pour sortir des multinationales du numérique, c'est vrai pour avoir une consommation plus éthique ou durable. Cette phrase reprend d'ailleurs presque en miroir une autre expression, certes un peu simpliste, mais efficace : si c'est gratuit, c'est que c'est toi le produit. Ou que tu fabriques le produit. Ou même les deux. Est-ce vraiment plus éthique de continuer d'être des produits (rappelons-le : le modèle d'Ecosia reste la publicité en ligne) en faveur du climat ?

« Green features (fonctionnalités vertes) ». Ou dans le même style, « Nous avons décidé de créer le navigateur le plus vert (the greenest) de la planète. » Je savais qu'on pouvait mettre les adjectifs responsables, durables et verts à presque toutes les sauces, mais parler de fonctionnalité ou de navigateur vert, c'est une première. Même l'IA proposée depuis peu par Ecosia est verte (sic). Au total, l'adjectif vert est utilisé six fois dans ce court article. Pareil pour l'adjectif propre (énergie propre, oh cet autre bel oxymore). Voilà, c'est vert, et c'est propre, vous avez compris ?

Verdir la planète sans quitter son bureau. La promesse est belle.

« Notre navigateur est équipé de notre moteur de recherche vert et de ses fonctions telles que l'icône de la feuille verte, la notation de l'engagement climatique et le chat AI. Vous pouvez également faire des achats plus durables grâce à notre fonction boutiques partenaires [...], sans frais supplémentaires. ». En réalité, il faut quand même reconnaître que c'est magique parce que sans rien changer à votre façon de faire, grâce à Ecosia, tout sera plus vert et durable. Essayer de résoudre des problèmes (l'écroulement du vivant) par la technologie sans toucher aux causes (le mode de consommation capitaliste, extractiviste et productiviste), c'est la logique même du solutionnisme technologique.

« Move away from Big Tech. S'éloigner des grandes entreprises technologiques ». Cette dernière promesse m'a fait tomber de ma chaise. Les résultats de recherche d’Ecosia sont fournis par Microsoft Bing et Google Search (source). Les publicités sont quant à elles fournies par Microsoft Advertising et Google AdSense (source). Le navigateur Ecosia est basé sur Chromium, le projet de navigateur open source verrouillé par Google. Il repose, comme presque tous les navigateurs « alternatifs » (à l'exception notable de Firefox) sur le moteur Blink, toujours relié à Google. Même l'IA d'Ecosia est alimentée par OpenAI (l'entreprise derrière ChatGPT, elle-même liée à Microsoft). Prétendre qu'on s'éloigne des grandes entreprises technologiques, sous couvert de greenwashing, alors qu'on dépend de Microsoft, de Google et d'OpenAI, il fallait quand même l'oser...

Bref, lisez l'article en entier, j'aurais quasiment pu commenter chaque phrase. Je ne sais pas quel est le niveau de sincérité autour du projet d'Ecosia, car je ne connais pas personnellement cette société et ses initiateurs. Donc je ne présume de rien, et je n'ai aucune animosité vis-à-vis de cette organisation. Mais avec une telle communication, elle participe à la confusion sémantique et au solutionnisme technologique ambiants. Pire, elle contribue à faire croire qu'adapter notre mode de vie (en l'occurrence numérique) pour maintenir la viabilité de notre planète peut se faire gratuitement, sans changements profonds, sans effort, depuis son PC. Si vous voulez un contre-exemple de communication plus honnête, regardez du côté d'Infomaniak. Et si vous cherchez de vraies alternatives à Google Search et Google Chrome, installez Firefox et faites des recherches sur Duckduckgo (installez Ublock Origins pour bloquer la pub !). Ce sera moins grandiloquent sur l'argument écologique, mais au moins on ne vous prendra pas pour des cons.

Cet article a été mise à jour le 7 juin 2025