Le « droit au non-numérique » fait son apparition dans les collectivités

Image de couverture de l'étude de cas titrant : Le « droit au non-numérique », une piste de lutte contre la fragilité numérique ?Etude de cas à Ecully et dans le quartier Les Sources — Le Pérollier

J'en ai parlé à plusieurs reprises sur ce site (liens en fin d'article)  en évoquant la numérisation des services publics : il me semble que pour garantir l'équité dans l'accès aux droits, le « droit au non-numérique » (terme que je n'employais pas jusqu'à récemment) est indispensable. Car dans un État de droit, je crois qu'on ne peut pas imposer à une partie de la population, même minoritaire, de « passer au numérique » (comprendre : s'équiper, se former continuellement, etc.). C'est tout le sens du numérique acceptable que je propose depuis trois ans comme un outil d'aide à la réflexion : ce numérique doit être émancipateur, soutenable (écologiquement et socialement). Et il doit être choisi démocratiquement. Or, le fait est que la numérisation de la société, que ce soit dans son principe même ou dans ses modalités, n'a jamais été débattue et décidée collectivement.

Le numérique* acceptable : Émancipateur et non aliénant. Choisi et non subi. Soutenable socialement et écologiquement. * Le numérique étant ici vu comme l'ensemble des technologies, équipements, infrastructures, terminaux traitant de l'information numérique.

Jusque là, c'était de la théorie. J'ai donc été ravi, fin 2023, d'apprendre que la ville de Villeurbanne expérimentait un « droit au non-numérique », palliant donc à la numérisation forcée et forcenée de la société par l'État, les opérateurs publics et les entreprises privées.

Depuis octobre 2023, les villeurbannais profitent d’un « droit au non-numérique ». Concrètement, la ville de Villeurbanne offre systématiquement une alternative non-numérique à ses citoyens : un guichet, une ligne téléphonique, ou un service dédié aux courriers. Ce droit s’applique aussi aux personnes morales : par exemple, la nouvelle plateforme en ligne de demandes de subventions est doublée de permanences pour offrir une alternative aux structures. Pour Gaëtan Constant, l’adjoint en charge de la lutte contre la fracture numérique, le droit au non-numérique répond aux impératifs d’accessibilité et d’adaptabilité qui s’imposent aux services publics.

Et aujourd'hui, je suis également très heureux de voir sortir une étude de cas, réalisée à Écully (en banlieue ouest de Lyon), et intitulée Le « droit au non-numérique », une piste de lutte contre la fragilité numérique ? Cette étude a été commandée fin 2024 par l'équipe Inclusion numérique de la Métropole de Lyon, qui a mandaté l'agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine de Lyon.

Une étude à faire tourner largement dans les collectivités, pour dépasser le caractère inéluctable d'une numérisation subie qui cause des souffrances sociales énormes, des inégalités d'accès aux droits les plus basiques, et qui représente, j'en suis convaincu, un enjeu indépassable (rapidité des évolutions techniques, hausse croissante des cybermenaces/cyberprotections, etc.).

Télécharger l'étude

Morceaux choisis

« Je n’aime pas le côté obligatoire. J’aimerais avoir le choix. » Une habitante d’Ecully à la retraite

Cette analyse croisée met en exergue une convergence essentielle entre toutes les personnes interrogées : un accès aux services publics ne doit pas être conditionné exclusivement par l’usage d’Internet. Tant les professionnels que les publics reconnaissent la nécessité de maintenir des alternatives non-numériques, accompagnées d’un soutien humain renforcé, pour garantir l’égalité d’accès aux démarches administratives. Les parties conviennent qu’une centralisation des procédures et une coordination accrue entre les différents services publics contribueraient à limiter les renvois et à simplifier les démarches pour les usagers.

« On numérise sans se poser la question des conséquences. Il y a un enjeu  d’argumentation, de plaidoyer auprès des décideurs. » Une professionnelle du développement social urbain à Ecully

Les personnes interrogées dans le cadre de cette étude sont toutes favorables à la mise en place d’un droit opposable au non-numérique, afin de reconnaître officiellement la possibilité pour les usagers de ne pas recourir obligatoirement à Internet. Ce
droit devient particulièrement important pour les cas de situations sensibles ou complexes (demande de retraite, décès, maladie, etc.). L’avis général est qu’un droit au non-numérique serait un atout pour les publics et les professionnels qui en ont besoin

Et pour revenir sur l'essentiel, une petite capture d'écran :

L’essentiel : ce que l’on peut retenir 1. Maintien d’alternatives non-numériques : Il est indispensable de conserver des guichets phy- siques, le recours au papier et des services téléphoniques pour garantir l’accès aux démarches adminis- tratives aux publics peu à l’aise avec le numérique, et notamment pour les démarches les plus complexes ou celles qui sont réalisées le moins fréquemment. 2. Accompagnement humain renforcé : Un soutien personnalisé, assuré par des conseillers formés et déployés dans des structures de proximité, est essentiel pour aider les usagers vulnérables et sécuriser leur accès aux droits. 3. Choix effectif pour les usagers : La possibilité de choisir entre démarches numériques et non- numériques est cruciale pour éviter l’exclusion et offrir une réponse adaptée aux besoins de chacun. 4. Défis de faisabilité et de pérennité : La mise en œuvre d’un droit au non-numérique doit intégrer les contraintes financières et organisationnelles, en veillant à ce que les solutions proposées restent durables face aux évolutions technologiques. 5. Sécurité et accessibilité : En offrant une alternative à la dématérialisation, il est possible de réduire les risques liés aux démarches en ligne (erreurs administratives, piratage) et d’assurer un accès plus équitable aux services publics
Un petit tableau de synthèse

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