Too BAAD #1 : Comment Google pourait faire mieux (s’il le voulait vraiment) ?

Je me lance dans une petite série d’articles fiction, où je vais imaginer ce que pourraient changer certains géants du numérique s’ils voulaient vraiment, comme ils le disent souvent, « rendre le monde meilleur1 ». Et arrêter d’être aussi « BAAD2 ».

Je commence avec un gros morceau, Google/Alphabet. Pour rappel, Alphabet (la société mère de Google), ce n’est pas que Google Search (oh non !), c’est aussi Youtube, Google Maps (et Waze), Google Mail, Google Drive, Google Photos, et bien sûr Android. Mais aussi Google X (le labo secret), beaucoup de boites dans l’IA (Deepmind) et les biotech (Calico), notamment. Je m’en tiendrai à l’écosystème de Google et des services web, dans cet article. Cela reste la cash machine de Alphabet et c’est dans cet écosystème que se concentrent les critiques.

Alors, que pourrait faire Google s’il était vraiment attentif, comme il le dit, à la santé du monde ? Et s’il voulait réellement éviter « d’être le mal3 » ?

Ce que pourrait faire Google

Casser la toxicité de son modèle, le capitalisme de surveillance

Google pourrait mettre fin à la publicité ultra-ciblée. Oui, tout simplement. Et revenir à la publicité contextuelle, ce qui représenterait déjà une jolie source de revenus.

Pour limiter son pouvoir, et donc ses responsabilités et ses capacités de surveillance, Google pourrait décider librement de se défaire d’une partie de son empire. Youtube, et Android, par exemple.

Encourager la curiosité et la sérendipité, plutôt que l’enfermement algorithmique et la captation de l’attention

Sur Google Search, et Youtube notamment, Google pourrait ajouter une capacité de paramétrage de l’algorithme (ce qui permettrait au passage de le visibiliser). On pourrait ainsi décider en fonction des jours de faire une recherche « efficace », « curieuse », « intellectuelle », « divertissante », etc. On pourrait également intégrer une recherche de type « surprenez-moi ». L’inverse du « J’ai de la chance » d’une certaine manière.

Google, qui veut devenir un moteur de réponse, pourrait redevenir un moteur de recherche, et même un moteur d’explorations et de découvertes ! Cela vaut pour Google Search, mais aussi pour Youtube, ou pour Google Maps. Imaginez pouvoir dire que vous voulez vous rendre d’un point A à un point B, en précisant que vous souhaitez flâner ? Google pourrait revoir globalement sa logique d’algorithme pour favoriser cette flânerie sur tous ses services.

Google pourrait accepter de rendre une partie de ses algorithmes open source, et donc auditables par des régulateurs, des états ou des associations. Il pourrait également limiter la complexité de ses algorithmes pour garantir leur explicabilité sur le long terme.

Google pourrait enfin renoncer à toute technique de captation de l’attention, et designer au contraire des expériences utilisateur émancipatrices et respectueuses. Adieu la vidéo qui se lance toute seule sur Youtube. Au revoir les notifications envahissantes sur Android.

Protéger la vie privée des personnes, en stockant moins de données et en chiffrant par défaut

Google pourrait, s’il abandonnait la publicité ciblée, stocker et analyser beaucoup moins de données personnelles. Ce faisant, il protègerait déjà mieux la vie privée de ses clients et utilisateurs.

Il pourrait aller plus loin en généralisant des techniques de chiffrement, sur ses différentes applications de mail, de messagerie instantanée, de drive, etc. Ainsi, les données personnelles et professionnelles seraient mieux protégées des cybermenaces mais aussi de la surveillance des états.

Arrêter les pratiques inacceptables

Google pourrait décider facilement de ne plus travailler avec aucune dictature, aucun programme militaire ou de surveillance de masse.

Google pourrait arrêter de mettre en avant ses propres services et ainsi fausser la concurrence. Et en profiter pour respecter ses partenaires, les médias par exemple.

Google pourrait arrêter de censurer arbitrairement certains contenus qui le dérangent, sur Youtube ou sur le Play Store par exemple.

Google pourrait arrêter de payer des millions d’euros de lobbying pour tenter d’influencer les décisions de l’UE ou des États, contre l’intérêt général.

À la place, Google pourrait payer ses impôts au prix juste. Et arrêter de nous faire le coup du généreux philanthrope avec un budget ridicule (par rapport au montant des impôts qu’il ne paye pas) et une allocation des fonds non démocratique.

Les limites des actions individuelles de Google

D’abord, Google ne fera bien sûr jamais rien de ce qui a été proposé ici. Tout simplement parce que chacune de ces actions se traduirait mécaniquement par une (substantielle) perte de chiffre d’affaires. Intolérable pour une entreprise qui, rappelons-le sans naïveté, sert avant tout ses actionnaires, et pas ses utilisateurs ou le bien commun. Cette fiction sert ainsi de démonstration que c’est bien par le débat politique et par la régulation que nous pourrons faire changer des acteurs comme Google.

Ensuite, on voit bien que même si Google/Alphabet agissait de bonne volonté, ce ne serait pas suffisant. Par exemple, Google fait partie des acteurs qui investissent dans les infrastructures d’Internet, notamment les câbles sous-marins. Pour remplacer de tels acteurs privés, il faudrait que les états s’en occupent. Il ne suffit pas pour Google de décider d’arrêter de s’en occuper, comprenant que cela lui octroie trop de pouvoir, il faut bien qu’un autre acteur (public, associatif, commun) s’y substitue.

De la même manière, Google a aujourd’hui beaucoup de pouvoir dans les instances de gouvernance d’Internet et du web (je pense particulièrement au Web3C). Ce n’est pas parce que Google se retirera (ce qu’ils ne feront jamais) que l’intérêt général sera nécessairement mieux défendu. Là encore, il faut que les états, des associations d’intérêt général (financées), des collectifs citoyens (dédommagés) s’en mêlent. À nouveau, c’est le retour du collectif et du politique.

À suivre…

Il y a sans doute encore beaucoup de choses que Google pourrait changer s’il voulait vraiment être au service des gens, de la démocratie et de l’intelligence collective. Qu’en pensez-vous ? Des idées ou remarques ?

Au passage, cet exercice est un bon outil pédagogique. Penser des systèmes alternatifs par leur critique, et ensuite leur transformation, est un préalable pour lutter contre certains déterminismes. Je recommande donc chaudement.

Merci pour votre lecture, cette série continuera bientôt avec un autre géant du numérique !

Notes de bas de page

  1. Allusion au classique « making the world a better place », un des marqueurs fort de l’idéologie startupiale de la Silicon Valley. Et magistralement caricaturée par l’excellente série du même nom. Voir extrait sur Youtube.
  2. Big, Anti-competitive, Addictive, Destructive to democracy » (gros, anti-concurrentiel, addictif et destructeur de la démocratie)
  3. Allusion direct à ce qui fut longtemps le slogan de Google,« Don’t be evil » (ne sois pas le mal).

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