Hier, je réagissais sur le ton de la plaisanterie à la tenue d’une table ronde dont le titre m’a… intrigué. Ce n’est pas vrai, j’ai failli (encore) m’étouffer. La table ronde : « Comment créer des métavers responsables ». Si j’ai adopté de prime abord le ton de la plaisanterie, je ne trouve en réalité pas cela très drôle. Je constate comme beaucoup que le métavers devient progressivement une réalité dans les esprits au fur et à mesure qu’on lui accorde une place croissante dans nos échanges, nos réflexions et surtout, nos investissements (privés ou publics).

Je rappelle que ces réflexions, tables rondes, conférences, livres, tout ce qui construit de toutes pièces l’imaginaire (ou la fuite en avant) conduisant au métavers, ont été provoqués par un seul homme : Mark Zuckerberg1. Relançant lui-même une vieille idée venue du monde de la science-fiction, matérialisée au mieux par la réalité virtuelle ou augmentée dans le monde du jeu vidéo (les experts me pardonneront cet énorme raccourci). Encore une fois, nous voilà en train de courir après la lubie d’un écosystème tech largement américain. Alors même que nous n’en partageons ni l’histoire (celle de la Silicon Valley et du complexe militaro-industriel), ni les idéologies (libertariennes, techno-utopistes), ni les valeurs (qui clairement ne sont pas au beau fixe). C’est sidérant !
Le métavers ne mérite pas notre investissement, notre temps ou notre argent
Le métavers ne répond à strictement rien d’utile ou de réclamé par les citoyens (qui selon les premières études, ne se montrent pas très intéressés). Dans l’éducation, où l’on commence à l’évoquer, il fait monter le solutionnisme technologique à un niveau inégalé. On sait en revanche qu’il nécessitera des investissements colossaux, des infrastructures renouvelées, et beaucoup d’énergie. Trois choses dont nous disposons en quantités limitées !
En pleine urgence environnementale et sociale, en pleine guerre de l’énergie, il est indécent de continuer à faire comme si de rien n’était. Il est indécent de laisser croire, par pur conformisme ou dogme du progrès (le progrès de qui ?), qu’il est nécessaire, indispensable, et donc prévu d’investir dans le métavers. C’est particulièrement vrai pour les opérateurs publics (BPI, Banque des territoires, etc.) qui gèrent notre argent et sur lesquels nous devrions a minima avoir notre mot à dire. Que le secteur privé dépense en pure perte son argent, c’est vraiment regrettable (on aimerait voir ces investissements passer sur la transition environnementale). Mais c’est son problème. Il ne répond de toute façon pas à l’intérêt général comme le doit le secteur public.
Réveillons-nous. La seule question que l’on devrait se poser au sujet du Métavers, c’est pourquoi faire ? Et ensuite, comme décider collectivement d’y aller ou pas ? Pour ma part, je pense que ce n’est pas souhaitable car non soutenable2, ni même désirable. Ce qui me gêne dans la discussion à laquelle j’ai réagi, c’est qu’on y parle déjà de créer des métavers responsables. Donc on acte le fait qu’on a décidé de créer des métavers. C’est inacceptable d’un point de vue démocratique.

À lire aussi
- C’est quoi, le « métaverse » ? Si comme moi ( et comme beaucoup de gens y compris haut placés), vous n’avez toujours pas vraiment compris la hype du truc.
- Métavers : les studios alertent sur son impact environnemental => tu m’étonnes…
- Ludovia #19 : en attendant un numérique éthique et sobre. Mon article sur la thématique de ludovia qui traitait précisément de sobriété et d’éthique en matière de numérique éducatif.
- Selon Intel, le métavers nécessitera 1000 fois plus de puissance de calcul. Voilà, donc maintenant la question c’est est-ce justifié de le faire ?
- Métavers : l’industrie de la mode y croit dur comme fer. Ceux qui croient vraiment dans le Métavers, mais peut-être que ce n’est pas vraiment eux qu’il faut écouter ?
- Métavers et Education : un exemple d’événement proposé par Universcience qui doit faire réfléchir. Il semble n’ y avoir aucune réflexion technocritique dans la programmation, aucun invité pour proposer des éléments contradictoires. Je trouve ça fortement problématique.
- Des bracelets connectés pour faire bouger les collégiens sarthois => un autre exemple de choix numérique à refuser !
- « Les partisans du métavers souhaitent, consciemment ou non, que l’utopie disciplinaire du jeu vidéo soit transposée dans la vie »
Notes de bas de page
- Quand il a décidé, en octobre 2021, de renommer sa boite Méta, sans doute pour noyer le poisson du nombre incalculable de shitstorm qu’il se prenait (ce qui d’ailleurs a plutôt marché). Lire cet article : Métaverse de Facebook : que sait-on du projet de monde virtuel rêvé par Mark Zuckerberg ?
- Lire à ce sujet ma conclusion de l’article Ludovia #19 : en attendant un numérique éthique et sobre