Des bracelets connectés pour faire bouger les collégiens sarthois

J’ai failli m’étrangler en apprenant, par les hasards de ma veille, qu’un bracelet connecté était testé sur les collèges sarthois, pour les « inciter à se dépenser davantage »1.

Depuis, l’affaire a suscité (légitimement) une opposition franche et composite, et le projet est à l’arrêt. Pour que cette situation navrante soit utile à d’autres décideurs, je souhaiterais rapidement revenir sur les principales raisons qui, selon moi, rendent cette initiative délétère. On peut en discuter dans les commentaires.

D’abord, ce projet remplit parfaitement le cahier des charges du solutionnisme technologique. Reprenons. Nous faisons face à un problème : les jeunes ne font pas assez de sport (seulement les jeunes ?). Voilà la solution : un objet technique va les motiver à en faire. Mais alors que l’on déploie cette solution, qui réfléchit aux causes du problème ? Pourquoi les jeunes se dépensent-ils moins, pourquoi sont-ils plus sédentaires ? Il y a fort à parier que le changement de nos modes de vie, de travail, de loisir, et le récent confinement ont fort à y jouer. Comment travaille-t-on sur les causes : voilà le vrai sujet, la vraie réflexion à discuter.

Le second problème fondamental, c’est que cette initiative habitue des jeunes citoyens à l’idée qu’il est acceptable, normal, bénéfique qu’ils soient surveillés. Pour leur propre bien, évidemment ! Peu importe que les données soient anonymisées (c’est bien le minimum !). Le problème ici n’est même pas la question des données, c’est l’accoutumance à un objet de surveillance. C’est le fait que l’on apprenne aux jeunes que pour gérer leur activité physique, ils doivent être surveillés, se comparer, avoir des objectifs, etc2.

Le troisième problème, c’est bien évidemment l’insoutenabilité d’un tel dispositif. Si l’on devait donner des montres connectées à tous les humains en manque d’exercice sur cette terre, le coût environnemental et humain serait immense. Totalement délirant en comparaison de la saine réflexion qui consisterait à interroger notre actuelle sédentarité. Et la société économique et politique qui l’encourage.

S’entendre sur un numérique « acceptable »

J’ai récemment proposé un cadre d’analyse (imparfait et contestable naturellement) permettant de choisir et de prôner un numérique « acceptable », désirable. Ici, les bracelets connectés ne cochent aucune des trois cases. D’abord, parce qu’ils ne sont pas choisis par les collégiens. Même si l’on peut imaginer que de nombreux collégiens soient séduits par l’idée d’un appareil numérique gratuit, le choix n’est pas libre pour autant. Ensuite, ces montres sont des objets techniques aliénants, dans le sens où elles sont pensées comme outil de surveillance et de contrôle extérieur. Ce ne sont pas objets émancipateurs ou conviviaux. Enfin, les montres connectées pour toutes et tous ne sont simplement pas soutenables, humainement et environnementalement.

Voilà l’exemple d’une initiative d’équipement numérique qu’il faut refuser, pour les bonnes raisons.

Notes de bas de page

  1. Sarthe: un bracelet connecté testé sur des collégiens pour les inciter à se dépenser davantage
  2. Cela pose des problèmes éthiques en cascade. Les chercheurs savent que l’humain se comporte différemment quand il se sait surveillé, d’une part. Il est aussi probable que des citoyens accoutumés à des dispositifs de surveillance et de tracking glissent plus facilement sur des dispositifs de surveillance récoltant des données personnelles. Une montre connectée fournie par une compagnie d’assurance, par exemple.

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