Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas eu le plaisir d’une petite tribune techno-centrée et pro Edtech…
Je reprends ici pour mémoire un fil twitter (lisez-le si vous voulez lire des réactions d’enseignants et acteurs éducatifs très engagés dans le « numérique éducatif ») que j’ai développé à chaud en réaction à une tribune de Marie-Christine Levet, co-fondatrice du fond d’investissement Educapital. La tribune initiale a été publiée dans les Échos (réservé aux abonnés), mais elle a également été partagée sur Twitter.
Pour le contexte, vous avez donc l’autrice, et vous avez la source. Voilà ma réaction, reprise de Twitter sans réédition.
C’est assez prodigieux d’avoir une vision aussi techo-centrée de l’éducation, du système éducatif et de l’innovation pédagogique. Au delà de ça, tout est contestable dans cette tribune.
D’abord, je me demande bien ce que peut bien signifier sémantiquement une réforme numérique. Ensuite, lier les difficultés du système éducatif français (PISA, décrochage et cie) à une absence d’investissement dans les technologies numériques est malhonnête.
Cela fait d’ailleurs longtemps que les chercheurs disent et répètent que le numérique a très peu d’impact dans les apprentissages, voire dessert les plus défavorisés. (Re)écouter André Tricot. Ou (re)lire l’américain Justin Reich, chercheur aux MIT et méta-études à la clé.
Pareillement, dire qu’en 2020, « 2 milliards d’élèves et d’enseignants ont basculé dans l’edtech », c’est… je ne sais pas quoi dire, je laisserai les enseignants répondre.
Enfin, faire peur en disant que le privé innove plus que le public (source ?), que les GAFAM sont à notre porte, c’est assez classique, on est en retard, alors accélérons (mais accélérer où ?).
Bref, alors qu’on est en pleine urgence climatique, qu’on crame sous la canicule, que l’on doit réinventer notre modèle de société, que l’édition de Ludovia porte cette année sur la sobriété et l’éthique, soyons un peu sérieux.
Ce n’est pas d’une réforme numérique dont l’école a besoin, ni même d’une énième réforme politique. L’école a besoin de valoriser ses enseignants et de leur faire confiance.
Il y aurait plein de choses pour développer, j’ai réagi à chaud, ce qu’en général je préfère ne pas faire. Bien sur qu’il faut continuer d’adapter l’école, de repenser la forme scolaire, la continuité éducative, etc. La tech peut aider, mais pas en étant au centre.
En retweetant cette tribune, je sais également que je contribue à lui donner de l’audience (limitée certes), mais je pense que la question est importante et le débat lié, salutaire. C’est mieux que l’actuel statut quo.
Voilà pour la réponse à chaud. Clairement, même si on est évidemment sur une démarche de lobbying (c’est le jeu, et ma réaction est justement une contre-argumentation de la tribune), je suis vraiment contre cette stratégie consistant systématiquement à fragiliser le système éducatif pour avancer des idées. Notre système éducatif va mal, effectivement, il n’a vraiment pas besoin de ça…
Pour aller plus loin sur le sujet
- Il faut rappeler que des associations comme Systex alertent sur les dangers de l’extraction minière dont dépend l’industrie numérique. Nous ne pouvons pas continuer à massifier les équipements, qui représentent par ailleurs un impact carbone non négligeable. En pleine urgence écologique et climatique, on ne peut plus faire comme si de rien n’était.
- Sur la capacité à un marché Edtech à émerger, je vous renvoie à mon article (2019) : Edtech : l’enseignement scolaire a-t-il besoin d’un champion ? (feat Nicolas Turcat).
- Et un autre vieil article mais toujours actuel je crois, La Edtech : une analyse du terrain.
- Enfin, la tribune Le solutionnisme numérique ne sauvera pas l’école que j’avais rédigée à la fin du confinement (juillet 2020). J’y dénonçais l’impensé du solutionnisme numérique, cette croyance que le numérique pourrait et devrait régler tous les problèmes de l’École.
