C’est une tendance de fond que je voyais venir : Apple mise de plus en plus sur le service. En 2021, relate MacG, la branche service valait près de 20% du chiffre d’affaires total (versus 8,3% en 2015, soit une belle progression).
À la lecture de cette information, certains se diront que cela fait un moment déjà qu’Apple fait du logiciel et du service. C’est vrai. Les mises à jour du système d’exploitation sont systématiquement gratuites depuis quelques années (une révolution à l’époque). Il en va de même pour une suite bureautique1à ses clients et un ensemble d’applications de plus en plus garni pour faciliter la vie de tous les jours (calendrier, notes, musique, rappels), le tout avec un système de synchronisation gratuit jusqu’à 5Go : iCloud. Enfin, Apple a toujours soigné les services autour de l’achat de matériels, l’achat en magasin, le support client (les fameux Genius), le SAV.
Non, la vraie nouveauté, c’est que l’offre de services s’est largement étoffée, autour de la culture et du divertissement notamment, mais surtout, Apple les fait désormais payer ! Listons un peu quelques-uns de ces services :
- iCloud+ : l’offre de cloud
- Music : l’offre de streaming audio
- Arcade : l’offre de jeux
- Fitness+ : l’offre d’accompagnement sportif
- TV+ : l’offre de streaming vidéo
- Et aussi News+, Apple Card et Cash, pour le moment réservés à certains pays.
Apple propose en gros chacun de ces services à 5 ou 10 euros par mois, ainsi qu’une offre famille pour chacun. Elle a aussi marketé une offre packagée, Apple One2.

Donc la part des services pèse désormais 20% dans le chiffre d’affaire d’Apple. À quoi cela nous mène-t-il ?
La part que prennent les services dans le chiffre d’affaire d’Apple amène à faire trois analyses.
Une stratégie qui oscille entre produit d’appel et vente liée
Auparavant, le logiciel et le service servaient de produits d’appels pour les produits Apple. C’est aujourd’hui moins le cas, mais un peu quand même. Apple TV+ reste aujourd’hui une exclusivité du monde Apple3, contrairement à Apple Music qui est accessible sur Android. Nous verrons comment Apple harmonise sa stratégie, entre produit d’appel pour son écosystème matériel et augmentation de sa part de marché en dehors de cet écosystème. Quoiqu’il en soit, Apple diversifie ses métiers et ajoute une logique d’abonnement à du service à sa vente seule de matériel. Une vente liée qu’elle sera nécessairement incitée à nous vendre. On peut donc s’attendre à la voir renforcer la valeur de ses services face à ceux de la concurrence (Spotify vs Apple Music, Notes vs Evernote, TV+ vs Netflix, etc.), et donc, maintenir son écosystème fermé et peu interopérable.
Une volonté de réduire la dépendance au hardware et à l’iPhone notamment
Sur un plan écologique, on peut voir un signal positif. Aujourd’hui, le CA d’Apple dépend de la vente de matériel numérique, et particulièrement de sa vache à lait : l’iPhone. Or on sait maintenant que la très grosse partie de l’impact écologique d’un matériel numérique provient de sa fabrication. Il devient donc difficile pour Apple de prétendre être vertueux dans ce domaine (malgré un marketing intensif) tout en sortant tous les ans un nouveau smartphone. On peut imaginer qu’un jeu de vases communiquant soit préparé entre la branche « service » et la branche « hardware » pour permettre de limiter la pression sur la vente de matériel (et préserver la croissance de la boite).
Apple s’aventure dans le monde impitoyable et sulfureux de l’économie de l’attention
Sur le plan attentionnel, on peut voir au contraire un signal négatif. Apple a toujours été à part au sein des GAFAM, parce que son modèle économique ne reposait ni sur la publicité, ni sur l’économie de l’attention, mais sur la vente d’un matériel onéreux, à forte marge.

Ainsi, il a toujours été aisé pour Apple de se positionner comme un champion de la sécurité et de la vie privée de ses clients, contrairement à un Meta/Facebook avec qui l’entreprise entretient des relations exécrables. Son modèle économique ne dépendant ni du temps passé sur un équipement, ni de la publicité ciblée, le discours rejoignait la réalité économique… Jusqu’à maintenant. Car avec des services qui représentent déjà 20% de son chiffre d’affaire, Apple rentre de plain-pied dans le monde impitoyable et sulfureux de l’économie de l’attention, en concurrence avec Youtube, Spotify, Netflix, Facebook, et tous les autres. Pour être compétitif, il serait naïf de penser que la pomme ne va pas se livrer comme les autres à une captation méthodique des données d’utilisation pour améliorer ses services. Et un jour, dans un contexte de baisse constante du CA de la branche hardware, compte tenu des enjeux écologiques (ou géopolitiques pour l’approvisionnement en terres rares et en composants divers), peut-être sera-t-elle tentée de les monétiser par de la publicité4.
Il faut enfin noter, comme le fait l’article de MacG, qu’Apple ne surmédiatise pas (euphémisme) sa progression ou sa stratégie dans le domaine des services. Une preuve supplémentaire peut-être (ou pas), que l’entreprise la plus valorisée au monde a conscience de combien le sujet est sensible.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Source: En 2021, Apple a assuré le service | MacGeneration
Notes de bas de page
- iWork, composée de Pages, Keynote et Numbers
- Une offre que Google propose également d’ailleurs
- C’est le terme employé sur le site d’Apple qui titre : « Tant d’expériences uniques. Uniquement chez Apple. »
- Elle dispose déjà de fait d’une régie publicitaire, iAd.