Cette fiche de lecture concerne l’article suivant : Boyadjian, Julien. « Désinformation, non-information ou sur-information ? Les logiques d’exposition à l’actualité en milieux étudiants », Réseaux, vol. 222, no. 4, 2020, pp. 21-52.
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Fiche de lecture
L’enquête s’intéresse à la manière de s’informer des jeunes de deux grandes catégories, les étudiants de formations dites élitistes et ceux des formations fréquentées majoritairement par les enfants des classes populaires et moyennes. Les deux grandes catégories regroupent donc :
- Des formations socialement (ou scolairement) sélectives voire élitistes : IEP1, CPGE2, LSP3
- Des formations comprenant de nombreux étudiants issus de milieux populaires et classes moyennes : E2C4, BTS5, IUT6 et AES7.
Les enseignements de l’enquête
La presse papier en chute libre
- Les étudiants des classes populaires et moyennes ne lisent quasiment jamais la presse quotidienne nationale (PQN), et très peu la presse régionale (PQR). Deux sur trois ne la lisent même jamais.
- La quasi-disparition de la lecture quotidienne de la presse papier concerne également les étudiants des formations plus élitistes. Mais elle est très largement compensée dans ces formations par la lecture des formats numériques des grands quotidiens (c’est beaucoup moins le cas des hebdomadaires).
Télévision vs Internet
- Les étudiants d’IEP sont trois fois plus nombreux à s’informer quotidiennement sur Internet (64% via les sites d’informations, 61% via Facebook) que par la télévision (20%)
- Mais les étudiants d’AES sont plus nombreux à s’informer quotidiennement par la télévision (44%) que par Facebook 31%).
Les sites d’informations
- Plus de 60% des étudiants de formations élitistes consultent quotidiennement des sites internet d’informations
- Mais seulement 20% des étudiants d’AES, et 7% des jeunes des E2C.
- Un tiers des étudiants des formations populaires déclare ne jamais aller sur des sites d’information, contre 2 à 4% des autres étudiants.
- Les sites considérés comme « illégitimes » ne sont consultés que par la jeunesse des formations élitistes et politisées.
- Les sites et blogs pourvoyeurs de « fake news » sont marginalement cités, quelque soit la formation des étudiants.
- Les étudiants parviennent très majoritairement sur les sites d’informations par le truchement des « infomédiaires » (surtout Google et Facebook). Et très rarement directement en tapant l’URL dans leur navigateur.
La fréquence de l’information
- 45 % des jeunes de l’E2C, tout comme 49% des élèves de CPGE s’informent tous les jours sur Facebook.
- Les usages informationnels des réseaux sociaux, la compréhension et la conscientisation du terme « actualité » est très différente selon les publics.
L’exposition à l’information sur les réseaux sociaux
- L’enquête considère principalement Facebook et Twitter comme étant des réseaux sociaux mobilisés comme moyen d’information (nationale, politique et internationale) par rapport à Instagram ou Snapchat par exemple.
Une non-exposition chez les étudiants des formations populaires
- Les étudiants issus des formations populaires sont très peu exposés à de l’actualité « choisie » (issue d’un média dont ils auraient likée la page) . Seuls 11% d’entre eux ont lié la page du Monde, contre 40% des étudiants des formations élitistes.
- Les médias pure player, conçus pour les médias sociaux et pour une cible jeune (Brut, Kombini, etc.) sont eux aussi très peu suivis par les étudiants issus de formations populaires. Idem pour les pages diffusant des « fakes news », quasiment pas suivies.
- Chez les enquêtés issus des formations populaires, les chercheurs constatent une tendance à « l’évitement du politique » (Eliasoph, 1998), une volonté à ne pas commenter ou partager des contenus jugés « clivants ».
Une exposition « large et diversifiée » chez les étudiants des formations « élitistes »
- L’exposition à l’information est beaucoup plus large et diversifiée, mais aussi partagée et commentée.
- L’enquête distingue d’un côté les étudiants très politisés (les « passionnés ») et ceux qui ont un rapport plus scolaire (les « utilitaristes ») à l’information.
- Les passionnés entretiennent une exposition à la fois forte et diversifiée sur Facebook : médias légitimes et blogs amateurs, médias militants et médias conçus pour les réseaux sociaux.
- Il est intéressant de noter que ces étudiants passionnés suivent également des médias dont la ligne politique n’est pas en adéquation avec leur propre positionnement. Ce qui peut remettre partiellement en question la crainte sur les bulles de filtres. Les articles des médias « contradictoires » apparaissent néanmoins être moins « engageants » pour ces étudiants passionnés, ils les lisent moins, les commentent et les partagent moins (NDR : biais de confirmation ?)
- Pour les passionnés, le partage d’articles d’information est l’occasion d’exprimer leur propre opinion politique, et éventuellement alimenter un débat. (NDR : comportement inverse à celui exprimé par les étudiants des formations populaires qui ne se sentent pas légitime à lancer un débat en partageant des articles politiques).
- Le groupe des étudiants « utilitaristes » s’informe beaucoup moins et de manière moins « inter-active ». Cela peut aussi s’expliquer par ses études qui lui laissent plus ou moins de temps ou qui accordent plus ou moins d’importance au fait de s’informer. Eux aussi s’expriment peu sur des articles politiques ou trop clivants.
Conclusion de l’article
- Les jeunes issus des classes populaires sont peu exposés au « fake news », et globalement à l’actualité politique vraie ou fausse.
- Il existe un vrai attrait pour l’information « qui fait le buzz », « dont tout le monde parle ». Ces informations sont qualifiées par l’auteur de « monnaies d’échanges » dans les discussions ordinaires, à la manière de la PQR d’autrefois.
- Les étudiants des formations élitistes sont exposés à une grande variété de sources, une sélection a priori moins sélective (politiquement notamment) que sur d’autres supports.
- Les étudiants politisés semblent moins posséder de « guide politique » qui était auparavant représenté par le choix d’un journal d’opinion. Ces étudiants, grâce à l’accroissement de l’offre informationnelle que leur permet les réseaux sociaux, sont à la recherche de biens informationnels « rares » (en opposition avec les étudiants des formations populaires qui recherchent davantage les informations « dont tout le monde parle »).
Vous pourrez retrouver cet article en accès libre dans l’excellente revue Réseau, à cette adresse.
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