Voici une sélection d’articles pour démarrer une réflexion sur la continuité pédagogique, actuellement en place en France et dans de plus en plus de pays confinés.
Je mets également en place un document contributif de curation et de veille sur les articles et réflexions, en lien avec la « continuité pédagogique », en France et à l’international. N’hésitez pas à me demander les droits pour contribuer.
Une sélection d’articles sur la continuité pédagogique
Covid-19 : heurs et malheurs de la continuité pédagogique à la Française
Jean-François Cerisier, professeur à l’université de Poitiers, revient dans un article posté sur The Conversation sur trois arguments qui lui font douter de l’efficacité de la continuité pédagogique promise, tout en n’ayant aucun doute sur l’engagement des enseignants qui font au mieux :
- L’impréparation : elle est plus pédagogique que technique. Les enseignants manquent de compétences d’ingénierie pédagogique dans leur formation initiale, et ne sont donc pas tout à l’aise avec un dispositif d’enseignement à distance
- la verticalité du processus : un classique en France, les ressources, outils et injonctions viennent du sommet de l’état, et on compte assez peu sur les associations et collectifs d’enseignants pourtant nombreux et très riches
- les inégalités dans la capacité à suivre à distance les enseignements : ambiance propice à la concentration, outils numériques appropriés, qualité de l’accès à internet, etc.
Il conclut en estimant que « dans ces conditions, compter sur l’engagement des enseignants revient à faire le pari qu’ils se sont formés eux-mêmes, qu’ils ont autofinancé leur équipement et leur connectivité, qu’ils sauront mobiliser les ressources mises à disposition par l’État mais aussi identifier et utiliser celles des éditeurs privés qui auront bien voulu les rendre disponibles et celles, qu’ils s’engageront enfin dans une large démarche collaborative avec leurs collègues. »
Et pose une première brique de réflexion : « Finalement, plutôt que d’essayer de reproduire à la maison l’école avec sa forme scolaire héritée de Condorcet, la pandémie de Covid-19 pourrait être et sera peut-être un magnifique laboratoire pour repenser l’école à l’ère du numérique. »
Lien vers l’article : Covid-19 : heurs et malheurs de la continuité pédagogique à la française
Continuité pédagogique : qu’avons-nous appris de la première semaine ?
Cet article est signé Anne Pédron, engagée dans le collectif récemment formé « Continuité pédagogique », dont je reparlerai plus loin. C’est donc un retour sur la première semaine de continuité pédagogique qui est proposé ici, avec plusieurs enseignements. Sélection :
- La technique n’a pas suivi : ENT, outils du CNED, tout a été saturé cette première semaine. Les choses s’améliorent depuis.
- On ne fait pas cours à distance comme en classe : un petit rappel salvateur que l’enseignement à distance c’est de la technique mais surtout de la pédagogie.
- La co-éducation, une idée qui fera peut-être son chemin : une nouvelle mention de l’idée que la période actuelle suscite des réflexions par rapport à la forme scolaire.
- L’épuisement guette les enseignants : c’est l’alerte que nous devons entendre. Improviser une nouvelle forme d’enseignement est incroyablement prenant. Les enseignants ne pourront pas « prétendre » longtemps, même s’ils veulent tous faire au mieux.
Anne Pédron conclut ainsi : « Peut-être faudrait-il d’ailleurs parler de continuité éducative, qui associe parents, élèves, enseignant.e.s, médiateur.rice.s numériques, chef.fe.s d’établissements, etc. En prenant le temps de se coordonner et de réfléchir aux pratiques et aux outils qui permettront à tous de tenir dans la durée. »
Lien vers l’article : Continuité pédagogique : qu’avons-nous appris de la première semaine ?
La continuité pédagogique dans la tourmente
Le Café pédagogique compile plusieurs témoignages de professeur.e.s de français relatant leurs efforts pour accomplir la continuité pédagogique souhaitée par le Ministère. Indispensable pour comprendre la « continuité pédagogique » dans son application quotidienne.
Beaucoup d’interrogations des enseignants, beaucoup de difficultés techniques, beaucoup de tâtonnement. On ne change pas sa pédagogie du jour en lendemain. L’enseignement à distance est l’occasion pour les enseignants de réaliser une fois de plus le poids des inégalités sociales. Et le rôle immense qu’a l’école, cette fois en tant que « lieu physique » si j’ose dire, de limiter ces inégalités.
On y trouve de belles surprises avec des élèves qui « forment et aident leur prof », beaucoup de bonnes idées qui serviront pour la suite, de nouvelles émotions pédagogiques pour les enseignants (« les élèves qui jouent le jeu, même les décrocheurs »), des rapports différents avec les parents, véritables « partenaires éducatifs »… On y lit des bons conseils, comme le fait qu’« enseigner à distance, ce n’est pas remplacer toutes les heures de cours par une Classe Virtuelle ». Et que même si « la situation semble urgente, elle ne l’est pas : pas de précipitation ».
Mais on y retrouve aussi beaucoup de témoignages plus négatifs : une hiérarchie ministérielle désorganisée, et parfois un peu trop « sereine » dans la tempête que vivent les enseignants. Une grande fatigue des enseignants, qui doivent en urgence revoir tous leur cours, gérer une classe à distance, composer avec des outils qui fonctionnent plus ou moins bien. C’est un « travail colossal ». Côté technique, je rappelle que même les services grands publics des GAFAM sont à la peine en ce moment où la moitié de l’humanité est confinée. Je rassure donc les enseignants : même les habitués des outils de visio-conférence ont du mal à travailler dans ces conditions. Il semblerait que beaucoup d’entreprises soient au moins autant désemparées par le télétravail que l’Éducation nationale. Les élèves en moins…
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À l’heure du Covid 19, passons de la continuité pédagogique à la continuité éducative
Un article signé Michel Perez, ancien inspecteur général de l’éducation nationale et actuel président de l’An@é (Association nationale des acteurs de l’école).
Il y rappelle d’abord que « la pédagogie relève du rôle de l’école, car elle consiste à organiser les activités scolaires de manière à adapter les savoirs et savoir-faire à acquérir aux caractéristiques du public visé ». Cela ne s’improvise pas, et aujourd’hui les parents s’en rendent bien compte.
L’An@é est un vaillant promoteur des pédagogies actives. Sur cet aspect, Michel Perez rappelle les limites de l’enseignement à distance. Pas de lien physique entre professeur et élèves, et des élèves entre eux. Pas de possibilités d’interaction et de motivation, ou alors fortement dégradées.
L’An@é passe un autre message dans cet article : celui du continuum éducatif. « Il ne faut pas oublier que si la pédagogie est l’affaire exclusive de l’École, l’éducation est pourtant l’affaire de tous ». Une idée déjà retrouvée dans plusieurs témoignages d’enseignants. Car la situation actuelle rebat complètement les cartes des acteurs de l’école.
Et Michel de conclure sur un appel à contribution : « nous accueillerons dès à présent sur notre espace Educavox une rubrique « L’école à la maison » afin d’accompagner par la mutualisation la continuité éducative en cette période de crise ». N’hésitez pas à contribuer !
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À distance : continuité, rupture, changement… de quoi parle-t-on ?
Dans son article, Bruno Devauchelle revient à son tour sur la notion de continuité pédagogique telle qu’elle a été proposée dans les textes par le Ministère de l’éducation nationale, et reprise par la hiérarchie.
Sur le choix des mots, il est incisif : « La continuité pédagogique n’existe pas !!! ». Il lui préfère la continuité du service éducatif. C’est intéressant, quand on repense aux articles proposés précédemment. Plusieurs font en effet la part des choses entre pédagogie et éducation, entre rôle des enseignants et rôle des parents.
Pour Bruno Devauchelle, si ce terme, continuité pédagogique, a été choisi par le Ministère, ce n’est pas innocent. « On comprend d’abord qu’en choisissant l’expression telle que définie par l’état, et en la privilégiant dans la communication on tente de rappeler que c’est bien une transposition de l’école qui doit permettre le maintien de cette « obligation » légale ».
On ne change pas la forme scolaire, et d’ailleurs le dispositif du CNED s’appelle… Ma classe à la maison. C’est effectivement dommage dans les injonctions qui sont faites, car « quid de la réflexion de fond sur ce qu’est l’enseignement et surtout l’apprentissage ? ». Et que dire aux très nombreux enseignants qui rappellent que faire court à distance ne peut pas se faire en reproduisant les modalités pédagogiques du présentiel ?
Je suis d’accord avec Bruno Devauchelle quand il dit que l’urgence actuelle est d’abord de créer un temps éducatif qui soit à la fois soutenable pour les enseignants et utile pour les élèves. On pare à l’urgence, et on sera inventif plus tard, certes. Mais j’ai tout de même confiance dans les acteurs de l’école pour se saisir de la période actuelle et réfléchir au nouveau sens que prend l’éducation dans cette crise inédite. Au rôle des enseignants, des parents, des professionnels de l’éducation. Aux différents temps éducatifs : scolaire, périscolaire, à la maison. Au continuum éducatif, cher à l’An@é.
Nous nous retrouvons donc dans sa conclusion : « Laissons le temps passer et l’année se terminer (après un mois et demi de « vacance » de l’école). Il sera alors temps de penser plus globalement au sens que nous allons pouvoir donner à ce qu’est apprendre après avoir vécu ce moment inattendu et angoissant pour certains. »
Lien vers l’article : À distance : continuité, rupture, changement… de quoi parle-t-on ?
Avec le confinement, l’enseignement supérieur a pris le virage des cours à distance
Et dans l’enseignement supérieur, qu’est-ce que ça donne ? Déjà, que la continuité pédagogique, l’enseignement supérieur « n’y était globalement pas prêt ». Ensuite, que de très grosses disparités sont apparues entre établissements. Si certains sont parvenus à s’adapter rapidement (souvent parce qu’ils implémentent des pédagogies différenciées et très numériques depuis plusieurs années), la plupart a eu besoin de temps pour s’ajuster.
Il est intéressant de constater que beaucoup de traits sont partagés avec l’enseignement scolaire :
- les flux de donnée explosent car personne ne pouvait anticiper de tels niveaux d’usages. « En une semaine, l’université de Bourgogne (34 000 étudiants) est passée « de 15 000 connexions par jour à 40 000 », celle d’Angers (25 000 étudiants) a relevé « 25 000 connexions pour 9 000 à 10 000 utilisateurs distincts chaque jour depuis le début de la semaine ».
- La fracture numérique est à nouveau mise à jour : qualité de l’accès à Internet, accès à un ordinateur personnel, maturité des usages numériques « scolaires », etc.)
- La continuité pédagogique, en dupliquer à distance ce qu’on ferait en présentiel, pose question : « C’est un mythe total de parler de continuité pédagogique à l’université. On peut apporter une aide, un contact, mais pas une vraie continuité », juge Nicolas Offenstadt, maître de conférences en histoire à Paris-I-Panthéon-Sorbonne.
- La situation actuelle exceptionnelle amènera à interroger ses pratiques pédagogiques et notamment la question de la transmission des savoirs.
Lien vers l’article (réservé aux abonnés Le Monde) : Avec le confinement, l’enseignement supérieur a pris le virage des cours à distance
D’autres articles intéressants sur la continuité pédagogique
- Continuité pédagogique : un laboratoire pour repenser l’école
- Et si l’enseignement à distance était enfin l’occasion de se demander à quoi sert l’Ecole aujourd’hui?…
- Coronavirus et enseignement à distance, « entre augmentation des inégalités éducatives et transformation pédagogique » (réservé aux abonnés Le Monde)
- L’école maternelle à la maison : garderie ou école ?
- Dossier : Avec le coronavirus, le défi de l’école à distance… pour tous
- Scholavirus
- A l’heure du coronavirus, enseigner ou faire semblant ?
- L’école au temps du corona
- La continuité pédagogique, vraiment ?
Quelques initiatives et autres liens utiles pour aller plus loin
Des initiatives qui se montent
- Continuité pédagogique : une communauté de citoyen·nes qui soutiennent les enseignant·es dans leurs pratiques numériques pour assurer (au mieux) la continuité pédagogique durant l’épidémie du coronavirus en France.
- Eduvoices : un collectif d’enseignant qui propose déjà plusieurs live pour transmettre des outils et ressources
- Être prof : le Guide Pratique et l’accompagnement EtreProf pour assurer la continuité pédagogique
- Ma classe à la maison : le dispositif du CNED
- CanoTech : une bibliothèque de ressources numériques pour la continuité pédagogique, par Canopé
- Des solutions d’apprentissage à distance listées par l’UNESCO
Des conseils d’enseignants
- Coordonner les pratiques pour faciliter le travail des élèves à distance : méthodologie de Romain Bourdel au collège
- 3ème semaine de cours à distance : retour d’expérience de l’Ecole Européenne de Varese en Italie
Série d’articles sur la continuité pédagogique
- 7/05 : Les stratégies de réouverture des écoles à l’international
- 29/04 : Les injonctions de la continuité pédagogique selon les pays
- 23/04 : Revue de presse internationale sur la continuité pédagogique #2 (english version)
- 16/04 : Revue de presse internationale sur la continuité pédagogique #1 (english version)
- 7/04 : Continuité pédagogique : recensement collaboratif des articles et réflexions [Feat Le Mouton Numérique] (english version)
- 31/03 : « Continuité pédagogique » : prendre la température en quelques tweets
- 26/03 : Sélection d’articles pour réfléchir à la continuité pédagogique
Si vous trouvez d’autres articles intéressants, n’hésitez pas à me les communiquer, ou à commenter cet article ! Et surtout, bon courage et un immense bravo aux enseignants !!!

Photo à la une de Allen Taylor sur Unsplash