Un court article pour réagir à l’actualité dramatique que nous vivons, sous l’angle de l’éducation et de la place du numérique.
Depuis la fermeture des établissements scolaires et de l’enseignement supérieur ce lundi, les témoignages se succèdent : la continuité pédagogique n’est pas simple, c’est le moins qu’on puisse dire.
Côté solutions numériques, que ce soient les ENT (environnements numériques de travail), la solution du CNED, Ma classe à la maison, d’autres outils de relation parents/enfants, etc, aucune n’a tenu sous le poids des connexions simultanées, d’une ampleur inédite. Les choses sont cependant en train de s’améliorer, semble-t-il.
Mais surtout, et indépendamment des questions techniques (infrastructures réseau, capacité des serveurs, équipement des familles), c’est sur la question de la préparation des enseignants à un « enseignement à distance massif » que se sont cristallisées les critiques.
Et c’est vrai, l’immense majorité des enseignants n’était pas prête à adapter sa pédagogie d’enseignement, habituellement présentielle, en enseignement à distance. Certaines critiques ou tentatives de récupération n’ont pas tardé, la plus violente étant portée par Educapital, un fond d’investissement spécialisé dans les EdTech, et qui joue de plus en plus le rôle de lobby des industriels du numérique éducatif. À les écouter, avoir développé une filière Edtech (comprendre : ouvrir un marché aux entreprises du numérique éducatif) aurait suffit à préparer la crise actuelle.
Des attaques frôlant l’indécence
J’ai été très gêné par ces attaques multiples, frôlant parfois l’indécence, compte tenu de la situation sanitaire dramatique. Je n’ai aucun problème à critiquer le Ministère de l’Éducation nationale, et parfois certains aspects du système éducatif. Bien sûr que le niveau actuel d’infrastructure, d’équipement et de formation au numérique n’est pas bon. Et bien sûr qu’il est dommage que le Ministère se soit éloigné des acteurs du monde libre, qui comptent pourtant dans leurs rangs bon nombre d’enseignants.
Mais il me parait injuste, voire indécent, de profiter d’une situation complètement inédite pour condamner l’ensemble des enseignants d’une part, et pour tenter d’imposer de nouveaux usages numériques d’autre part.
D’abord, il ne faut pas oublier que « la fermeture générale des établissements scolaires est une première historique », comme l’explique l’historien de l’éducation Claude Lelièvre dans une tribune au « Monde ». Aucune situation habituelle ne justifie un enseignement à distance généralisé, au-delà de pédagogies alternatives comme la classe inversée par exemple (qui au passage dépend également du présentiel). Il n’est d’ailleurs pas du tout souhaitable d’enseigner à distance à des enfants ou des ados (ce qui est moins vrai pour des étudiants, plus âgés, et encore que…).
Ensuite, l’Éducation nationale n’est pas l’armée ! Ce n’est pas dans leur ADN de prévoir des « plans catastrophe » ainsi que les manières d’y faire face de manière résiliente. Cela ne me choque pas que personne à l’Éducation nationale n’ait été « préparé » à vivre une situation pareille. Et d’ailleurs, qui l’était ? Clairement, les entreprises ne l’étaient pas, les collectivités non plus. Qui vient leur jeter la pierre ?
Le coronavirus ne doit pas être le cheval de Troie d’une nouvelle fuite en avant technologique

Pour ma part, c’est très clair : je ne souhaite pas qu’on profite de la crise actuelle pour « légitimer et rendre banals des nouveaux usages ou des nouvelles technologies » qui n’ont pas d’utilité en temps normal, voire qui pourraient être dangereux pour la société.
C’est vrai pour de nombreux usages du numérique éducatif lorsqu’ils sont massifiés, l’enseignement à distance, les quizz, par exemple. Mais aussi pour des usages sécuritaires, comme l’utilisation de plus en plus décomplexée des caméras de surveillance, de drones, des données, pour gérer le confinement. Ci-dessous un très utile recensement initié par Irénée Régnauld.
Beaucoup de citoyens tirent profit du climat actuel pour reprendre le contrôle de leur rapport au temps, aux outils, à ce qui a du sens. Continuons de nous poser ces questions, profitons d’avoir du temps pour réfléchir à ce qui est vraiment important. Quelle éducation a du sens pour nos enfants ? Dans quel monde voulons-nous qu’ils vivent ? Et surtout qu’en pensent-ils ?
Prenez soin de vous, et vive les profs qui s’adaptent une fois de plus dans des conditions pas faciles pour donner le meilleur à leurs élèves !
Quelques articles pour aller plus loin :
- Covid-19 : heurs et malheurs de la continuité pédagogique à la française
- Coronavirus et enseignement à distance, « entre augmentation des inégalités éducatives et transformation pédagogique » (article abonné)
- Distance learning solutions (unesco)
- Framaconfinement Jour 02 – Prendre la mesure
- Continuité Pédagogique : soutien des enseignants pour la mise en place de pratiques pédagogiques permettant la continuité pédagogique
Série d’articles sur la continuité pédagogique
- 7/05 : Les stratégies de réouverture des écoles à l’international
- 29/04 : Les injonctions de la continuité pédagogique selon les pays
- 23/04 : Revue de presse internationale sur la continuité pédagogique #2 (english version)
- 16/04 : Revue de presse internationale sur la continuité pédagogique #1 (english version)
- 7/04 : Continuité pédagogique : recensement collaboratif des articles et réflexions [Feat Le Mouton Numérique] (english version)
- 31/03 : « Continuité pédagogique » : prendre la température en quelques tweets
- 26/03 : Sélection d’articles pour réfléchir à la continuité pédagogique
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