« Continuité pédagogique » : prendre la température en quelques tweets

Je le dis toujours à mes étudiants dans mon cours de Culture numérique : Twitter n’est pas un réseau représentatif de la population. De n’importe quelle population. C’est bien sûr vrai pour les profs. Néanmoins, les messages qui s’échangent sur Twitter veulent dire quelque chose, surtout quand ils se répètent et s’amplifient.

Voici quelques-uns des tweets récents qui me permettent de prendre la température de la « continuité pédagogique » actuellement appliquée en France. Ils me semblent assez proches du ressenti général des enseignants tels que j’ai pu les lire, les entendre (et parfois les recenser).

Note : j’écrirai « continuité pédagogique » entre guillemets à l’avenir, car plus je lis sur le sujet, plus je me rends compte que l’appellation en elle-même est trompeuse. J’aurai l’occasion d’y revenir, ou de citer d’autres qui le sauront le dire mieux que moi.

Accroissement des inégalités scolaires

S’il y a bien une crainte que les enseignants partagent unanimement (et pas seulement en France), c’est celle de laisser s’accroitre les inégalités scolaires et de fait sociales de leurs élèves. Le Ministre de l’éducation nationale parle de 5 à 10% de « décrocheurs ». Personne n’y croit.

Discours culpabilisants

https://twitter.com/maelialc/status/1244993514880065536

Je pense que dès le départ, le ministère a fait une très grosse erreur de communication en prétendant que la « continuité pédagogique » serait assurée. Encore pire : qu’ils étaient prêts. C’était vraiment tendre le bâton pour se faire battre, et ce alors que personne ne leur aurait voulu d’assumer ne pas pouvoir « faire comme avant ». Cela revenait aussi à mettre une énorme pression sur les enseignants, à leur faire partager la responsabilité en cas d’échec. Alors qu’eux étaient, pour le coup, tout à fait conscients de leur impréparation.

Évidemment, les propos de la porte-parole du gouvernement ont fait mal. Maladresse ou lapsus, ils s’inscrivent dans une trop longue série de mépris affiché vis à vis des enseignants, du citoyen lambda mais aussi, de personnes publiques. L’occasion de rappeler que les enseignants travaillent plus dur que jamais pour repenser leurs cours à distance, et qu’eux aussi sont « au front ».

Discours contradictoires

Il n’y a pas que les discours culpabilisants, il y a aussi les injonctions contradictoires. GAFAM ou pas GAFAM, libre ou pas libre, RGPD ou pas RGPD, Edtech FR ou pas Edtech FR : personne ne comprend exactement ce qu’il est autorisé à faire. Et quand on est dans l’urgence, on privilégie l’efficacité, ce qu’on connaît. Les outils et services grand public apparaissent alors comme des choix sensés.

Épuisement et stress

Un autre constat revient souvent, et il est inquiétant : les enseignants sont épuisés. Et pourtant, nous ne sommes qu’au début de l’épreuve. Cela pose donc à nouveau la question de l’objectif, cette « continuité pédagogique » (irréalisable sans doute, mais source de stress, de fatigue, de peur aussi, alors pourquoi s’y tenir ?), des difficultés multiples (les inégalités sociales, les problèmes techniques, le manque de scénarios pédagogiques…), des problèmes de communication, etc.

Au passage, si les profs sont prompts à manifester leur mécontentement sur Twitter, ils sont beaucoup moins bavards pour témoigner… de leurs propres limites physiques. Le tweet ci-dessus date du 18 mars, et je n’ai pas trouvé beaucoup de messages de profs qui se plaignaient depuis. À méditer donc.

Partages et mobilisation

Twitter et les autres réseaux sociaux témoignent de beaucoup de choses. La frustration des enseignants face aux injonctions contradictoire. Leurs craintes de laisser s’accroître les inégalités sociales entre leurs élèves (cette crainte est chevillée au corps de chaque enseignant). Leurs colères contre leur certains choix de leur institution.

Mais ils témoignent aussi d’une formidable envie de partage, de mobilisation des acteurs, et d’un seul et même but : donner le maximum pour leurs élèves. C’est beau, à chaque fois, et ça mérite d’être rappelé.

Toutes les académies, par le biais de leur Délégations académiques au numérique éducatif, se font le relai des injonctions ministérielles, mais font aussi preuve d’autonomie dans la curation de ressource, l’animation de leurs réseaux sociaux (numérique ou non).

Je note qu’il est intéressant que dans le contexte de « continuité pédagogique » ce soit la DANE qui porte et pas l’académie tout court (puisqu’on est dans des questions d’usages pédagogiques et pas d’usage numérique à proprement parler).

Canopé et le CNED, deux acteurs historiques et chamboulés depuis quelques mois sont en première ligne de la « continuité pédagogique » voulue par le Ministère. De quoi retrouver de l’oxygène, reconquérir les enseignants ? Je l’espère pour ma part.

https://twitter.com/AurelieBoussac/status/1244959207364968453

Les différentes associations et collectifs qui oeuvrent autour des enseignants sont eux aussi sur le pont pour venir en aide à leurs collègues.


Je le pense depuis longtemps, mais je vais essayer de le dire autant de fois que possible pour que ce soit bien clair : merci et bravo aux enseignants pour ce qu’ils font !

Série d’articles sur la continuité pédagogique

Photo à la une de Yoann Boyer sur Unsplash (puis retouchée)

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