La startup, de la mode au poncif

Cela fait longtemps que j’avais envie d’écrire sur les startups. Je prends enfin le temps de le faire, en réaction à l’interview de Nicolas Minvielle, car moi aussi, je dois dire que je suis fatigué de la startup nation. Ce qui est paradoxal, puisqu’entre les startups et moi, c’est une vieille histoire.

Mon parcours professionnel est jalonné d’expérience en “startups”. Par startup, j’entends jeune entreprise, moins de 5 ans, sans argent ou presque, et dont le produit ou le service est innovant. Très rapidement en école de commerce, j’ai été attiré par cet environnement numérique, dynamique, jeune, décontracté, intellectuellement vif. J’ai donc effectué mes stages de 3ème, 4ème et 5ème année dans trois startups différentes. À chaque fois en cherchant le stage et donc l’expérience la plus longue possible.

Travailler en startup : les bons côtés

Ce que j’aimais aussi en startup, c’est qu’il fallait être malin. Parce qu’on était peu nombreux, il fallait être efficaces et bien organisés. Parce qu’on avait peu ou pas d’argent, il fallait être créatif et ingénieux. En somme, on parlait souvent de trouver des leviers de croissance très puissants et très peu onéreux. Une double équation que je trouvais réellement stimulante intellectuellement.

Une startup qui n’a pas levé, donc la grande majorité selon les chiffres clés de Wydden, n’a pas d’argent. Elle recrute donc jeune, souvent en contrats d’apprentissages ou en stages mal rémunérés. Mais en retour, la plupart d’entre elles accordent confiance et responsabilité sur le principe de la méritocratie. On est moins jugé pour son parcours académique et plus pour ses compétences, à l’américaine. Cela m’a vraiment permis pour ma part de faire mes armes à un poste de grande responsabilité, très jeune, et de monter très vite en compétences.

Mais derrière ces aspects séduisants, il se cache des réalités moins plaisantes et propres à l’univers des startups, qu’il convient aussi de rappeler. Avant tout, de quoi parle-t-on ?

Il faut s’accorder sur la définition d’une startup

Derrière le mot startup, il y a énormément de fantasmes. Beaucoup d’incompréhensions et d’imprécisions. Mais surtout, il y a des définitions très différentes.

J’ai déjà entendu des entreprises de 10 ans se présenter comme des startups, sous prétexte que leur chiffre d’affaire était très bas, ou qu’elles avaient moins de 10 salariés. Ou qu’elles innovaient. Parce que l’appellation est vendeuse. Sauf que non, ces entreprises sont des TPE (très petites entreprises), tout simplement. Et c’est très bien aussi ! Une TPE c’est une entreprise de petite taille donc dynamique et à échelle humaine qui a prouvé qu’elle avait un modèle économique viable. Il n’y a aucune raison qu’elle en ait honte.

Ceci étant dit, je pense qu’il y a un relatif consensus sur le fait qu’une startup se définit sur trois principaux critères : l’âge (jeune), le chiffre d’affaire généré (peu élevé, ce qui ne l’empêche pas d’avoir levé) et l’innovation (élevée, que ce soit dans les domaines du numérique ou ailleurs).

Créer sa startup est à la mode

Les startups sont à la mode, c’est incontestable. On ne crée plus des entreprises, on lance des startups. C’est plus sexy, et pourtant c’est pareil.

Ce qui est problématique, c’est que les pouvoirs publics (personnalités politiques, collectivités, financeurs publics, etc.) se sont eux-mêmes laissé piéger par le vocabulaire “cool” de la startup. Très souvent, ils font de grandes annonces sur leur volonté d’encourager l’innovation portée et illustrée par les startups. Oubliant et ringardisant au passage les très nombreuses PME et ETI françaises qui innovent tous les jours dans le silence médiatique et politique. Et ce au plus haut niveau de l’état, puisque notre président a fait de la “startup nation” son idéal économique. 

Comme le soulève justement Nicolas Minvielle, la plupart des créateurs de startups ne versent pas dans l’humilité. Il est tellement tentant de se sentir meilleur qu’une entreprise d’un âge vénérable lorsque la sienne compte moins de dix salariés (dont la moitié sont des stagiaires de moins de 25 ans), n’a aucun process ou outil de contrôle, peu de clients et d’enjeux financiers, et donc pas de contraintes et aucune aversion au changement.

Un peu d’humilité ne serait pourtant pas superflue, car quel taux d’échec parmi les startups ! J’irais même plus loin : quel taux de déchet, quand on sait que 90% des startups échouent (chiffres clés de Wydden) ! On dit souvent dans la culture startup qu’il n’y a pas d’échec, qu’il n’y a que de l’apprentissage. C’est vrai, et c’est un trait culturel qu’il est bon de développer en France. Mais il faut aussi savoir se lancer avec humilité, en réfléchissant au service qu’on veut apporter, en s’interrogeant sur sa réelle utilité. Moins de quantité, plus de qualité. Moins de communication, plus de fond. Sans oublier par ailleurs que ce sont souvent les plus mieux dotés et les plus confortables sur le plan financier qui lancent leur startup. Avec une peur de l’échec moins grande sans doute, et qui expliquerait en partie le taux d’échec.

La levée de fond comme finalité…

Les startups ont un autre travers que je trouvais moins prégnant il y a 5 ans et qui me préoccupe : beaucoup se créent aujourd’hui en n’ayant pas d’autre modèle économique que d’aller lever de l’argent. Et souvent beaucoup d’argent. Je vous conseille à ce sujet la lecture de cet excellent article de Maddyness : Et si on arrêtait d’associer la réussite d’une startup au montant de ses levées de fonds ? De la même manière, de nombreux entrepreneurs n’ont pas d’autre vision à long terme de leur entreprise que leur revente au meilleur prix. C’est là également une vision qu’on pourrait discuter.

Certaines startups ont besoin d’argent car leur activité l’exige. Elles peuvent avoir besoin de matériel lourd, ou de temps pour construire une infrastructure informatique complexe. Il leur faut donc lever. Mais beaucoup d’entre elles n’ont pas besoin de beaucoup d’argent pour se lancer et faire la preuve de leur modèle économique. On pourrait alors penser que c’est une fois la preuve faite de leur rentabilité économique, que ces startups pourraient envisager une levée pour accélérer leur croissance.

…pour pallier l’absence de modèle économique viable

Il n’en est rien, et je découvre tous les jours de nouveaux exemples d’entreprises ayant beaucoup levé, et peinant encore aujourd’hui à être rentable. Toujours selon les chiffres de Wydden, trois startups sur quatre afficheraient un excédent brut d’exploitation à perte ! Voici quelques exemples que je trouve particulièrement intéressants, car il s’agit d’entreprises américaines qui ne sont plus du tout des startups, et qui sont toutes présentes dans l’économie numérique : Evernote, Snap, Twitter. Les trois sont largement déficitaires, parfois plus de dix ans après leur création ! Et elles sont toujours sous perfusions des levées de fonds, qu’elles répètent régulièrement.

Personnellement, je ne comprends pas cette anomalie économique qui consiste à financer aussi longtemps et sur de tels montants des entreprises qui n’ont clairement pas fait la preuve de leur modèle économique. Je trouve vraiment dommage que les investisseurs autant que les médias (car les levées créent le buzz) récompensent ainsi autant d’entreprises qui n’aident pas l’économie à moyen terme, et laissent parfois démunies les entreprises plus sérieuses mais aussi plus discrètes, moins vendeuses. Du côté des VCs et des business angels, je pense qu’il devrait y avoir un vrai sujet de réflexion, notamment sur le sourcing. À ce sujet, je conseille la lecture de l’article “Don’t go chasing unicorns”.

Je trouve beaucoup plus sain de créer et de structurer une entreprise sur fonds propres ou sur des petites levées, de construire en premier lieu sa rentabilité économique avant d’aller lever de gros montants pour croître et s’internationaliser. Je voudrais dédier cet article à toutes les startups et anciennes startups besogneuses, discrètes, qui ont grossi et pour en citer certaines, Madmagz (dont le produit reste mon bébé et ma fierté après toutes ces années) Kontestapp (où j’ai fait mon stage de 3ème année, et qui a tellement grandi depuis !), à Nomad Education, Petit Bambou, Bonne Gueule, Le Slip Français, Toucan Toco, etc.. Quel dommage que ce soit aussi les entreprises dont on parle le moins…

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