Depuis que j’ai décidé de me mettre à mon compte, je vis au quotidien les avantages et les inconvénients du travail indépendant. Je vous propose de vous partager quelques premières réflexions, et serais ravi d’échanger autour de vos avis et propres expériences.
Il y a quelque chose de profondément romantique dans la promesse du travail indépendant. Il s’agirait de se délivrer des chaînes du salariat, d’accéder enfin à la liberté. Plus de patrons, plus de règles, plus d’horaires. Il n’y aurait plus que des projets plus enthousiasmants les uns que les autres, la gloire au bout et puis aussi l’argent. Je suis désolé de vous décevoir, mais cette promesse est très exagérée.
Cet article est un peu long 🙂 Voici un petit sommaire pour vous y retrouver.
Être freelance, la liberté ?
J’ai commencé à exposer une première réalité dans mon précédent article sur le site 5euros.com : les freelances ne sont plus uniquement des consultants stars, payés des fortunes et comptés sur les doigts d’une main. D’une part, ils sont de plus en plus nombreux, donc d’autant plus concurrencés sur de mêmes services. D’autre part, de nombreuses tâches aujourd’hui réalisées par des freelances ne sont pas à très haute valeur ajoutée, ce qui tire le tarif moyen par jour vers le bas.
La réalité quotidienne de la majorité des freelances, c’est qu’il leur faut trouver des clients. Et en fonction des types de clients (ponctuel vs récurrent) et de son tarif moyen par jour, il faut trouver beaucoup, et régulièrement, de nouveaux clients. C’est essentiel de le rappeler, car on a tendance à l’oublier : un freelance est d’abord un commercial qui vend sa propre personne.

Si je mentionne cet aspect, c’est que la liberté du freelance est intimement liée à sa capacité à trouver ses clients. Plus le travailleur freelance a d’opportunités, plus il aura le luxe du choix, et donc de la liberté. À l’inverse, si un freelance peine à trouver des clients, alors il sera obligé d’accepter ce qui se présente à lui. Et perdra assez logiquement de sa liberté de choisir.
C’est la raison pour laquelle je considère que le freelance, comme toute organisation, doit penser avant tout la viabilité de son modèle économique. L’étape suivante consistera à réfléchir aux moyens d’actions dont il dispose pour réussir.
Liberté ou confort de travail ?
Ceci étant dit, le freelance est incontestablement libre sur des aspects très “matériels” de sa vie professionnelle. Il peut tout à fait choisir de se lever tard s’il n’est pas du matin. Aller courir avant de déjeuner si celui lui permet de décompresser. Travailler pieds nus et en t-shirt (voire sans t-shirt) s’il le souhaite. Si un freelance est très efficace, il peut même décider que sa journée de travail dure 6 heures, 5 heures.
En cela, son confort de travail est incomparable à celui d’un salarié, qui rappelons-le, est jugé par ses collèges dès lors qu’il a le malheur de quitter le travail un peu trop tôt. Mais est-ce de la liberté, ou simplement un confort de travail dont devraient s’inspirer les organisations traditionnelles, quelles qu’elles soient ? Certaines le font, notamment les startups, et les résultats sont d’ailleurs mitigés.
Stimulation intellectuelle et frustration
Le freelance change souvent de clients. Et même s’il a des clients récurrents, il en a plusieurs en même temps. Il travaille donc sur des projets différents, avec des personnes et des problématiques différentes. Il peut même travailler sur des secteurs d’activité différents, et pourquoi pas s’il est multi-casquettes, sur des métiers différents.
Intellectuellement, c’est assez excitant. Lorsque j’ai réalisé ma première mission pour un de mes clients et que j’ai dû reprendre tout un raisonnement de marketing stratégique, ça carburait à tous les étages, et c’était un vrai plaisir !
C’est aussi pour ça que je pense que ce type de travail indépendant correspond bien aux personnes qui, comme moi, peuvent se lasser assez vite d’une tâche répétitive, ont besoin de varier les projets, les missions, les activités.
Le freelance paye toutefois un lourd tribut
Le freelance paye cette volatilité et cette stimulation intellectuelle par un lourd tribut : à être sur de nombreux projets, il finit par ne plus être nulle part. Je m’explique : le freelance est une personne extérieure à une organisation. De ce fait, il ne peut pas être impliqué (ou rarement) de la même manière que le serait un employé en interne, sur du long terme et sur des aspects stratégiques.

Le plus souvent, le freelance a une mission de conseil ou d’accompagnement derrière laquelle il finit par s’effacer, pour laisser la main aux dirigeants et aux employés de l’organisation qu’il conseille ou accompagne. Sa plus grande satisfaction sera de se dire qu’il a contribué, en voyant les résultats positifs de son accompagnement. Au contraire, sa plus grande frustration sera de constater que son accompagnement a peu ou pas été suivi d’effets.
Dans tous les cas, il y a une frustration directement liée au caractère fondamentalement éphémère de la mission du freelance. Les entrepreneurs, les stratèges, les bâtisseurs, seront probablement les plus touchés par cette frustration, il faut s’y préparer et l’accepter.
Quel plan de carrière pour un freelance ?
Il y a un autre aspect à prendre en compte lorsqu’on se dirige vers le statut de travailleur freelance : le plan de carrière.

Lorsqu’on est salarié, le plan de carrière est assez simple à planifier et à suivre. On évolue à des postes dont les intitulés changent pour marquer l’évolution et les responsabilités. Les changements d’entreprise sont un autre marqueur d’évolution, de prise de risque.
Pour un freelance, c’est un peu plus compliqué. L’employeur ne change pas, puisqu’on travaille pour soi-même. L’intitulé de sa fonction ne change a priori pas non plus. On peut à la rigueur s’affubler des compléments “expérimenté”, “senior”, mais c’est assez limité. Il faut donc trouver d’autres moyens de mettre en scène ses expériences, la variété de ses missions et ses clients. Pour les créatifs, il y a les books, mais il faut trouver un équivalent pour les marketeurs, les développeurs, les chefs de projet.
En ce sens, je trouve LinkedIn assez mal conçu pour les freelances, car il ne permet pas de mettre en valeur visuellement les différentes missions qu’on pourrait accomplir en tant que travailleur indépendant. Pour ma part, j’ai fait le choix de la transparence (lire ma déontologie) sur mes clients et les affiche systématiquement sur ce site. Ce sera donc également le moyen de mettre en avant mes différents accompagnements, sous la forme d’articles de blog, d’études de cas, etc.
Mais je réfléchis à d’autres manières de mettre en valeur mes différents projets et accompagnement et je pense qu’il ne faut pas négliger cet aspect.
Être freelance, l’argent facile ?
D’accord, ce sous-titre est provocateur. Il n’empêche que l’argent est une véritable motivation pour certains, et une nécessité pour beaucoup, donc impossible de ne pas évoquer ce sujet.
Il est un peu tôt pour moi pour tirer une conclusion sur ma situation. D’autant que je ne me suis pas mis à mon compte pour l’argent (ma situation salariale n’était pas à plaindre). Mais je vous propose de prendre une situation pour l’exemple.
Bob, un consultant en marketing avec plusieurs années d’expérience peut vendre ses journées de prestation à 500 euros par jour. Je ne mets que des montants hors taxe.
NB : il est très difficile de faire une moyenne du tarif journalier d’un freelance. Comme je le disais plus haut, le freelance est avant tout un commercial : certains sauront se vendre, d’autres pas. Et ce n’est même pas forcément le niveau et l’expérience qui primeront systématiquement.
Revenons donc à Bob, mon consultant en marketing qui se vend 500 euros par jour. Admettons qu’il a une clientèle régulière qui lui permet de travailler 15 jours par mois (les autres jours étant consacrés à de la prospection, à travailler sur sa présence web, etc.).
500 euros * 15 = 7 500 euros de chiffre d’affaires. Pas mal ! Maintenant, partons sur le principe que Bob ne se déplace pas hors de Paris, mais qu’il déjeune et invite régulièrement ses clients. Il dépense donc 700 euros par mois de frais de restaurants. À cela s’ajoutent le loyer du bureau de Bob, 500 euros, et ses autres dépenses, 300 euros. Bob fait donc 6 000 de bénéfices.
Seulement, si Bob veut se verser un salaire, il faut qu’il paye des cotisations patronales et salariales (puisqu’il est son propre patron). Vous pouvez calculer ces cotisations en utilisant le très bon outil de Pôle Emploi. Admettons que Bob veuille se verser le maximum dont il dispose sur son compte bancaire (ce qui veut dire qu’il ne laisse aucune trésorerie dans sa société), il peut se verser un salaire net avant impôt de 3 323 euros.

Le site Glasdoor évalue à 50 000 euros par an le salaire moyen brut d’un responsable marketing et communication. Ce qui fait, en net mensuel et en utilisant à nouveau l’outil de Pôle Emploi, 3 655 euros par mois. Soit légèrement plus que mon freelance en marketing.
Tout ceci est assez théorique, car on sait que les salaires moyens sont très biaisés par les très hauts et les très bas salaires. Par ailleurs, un freelance peut afficher un tarif/jour de 500 euros, mais ensuite monter en gamme chez ses clients et facturer plus cher. Enfin, le simulateur de Pôle Emploi n’est pas parfaitement juste.
D’après mes premières observations, le passage au statut freelance n’apporte pas de plus-value automatique en termes de rémunération. D’autant que dans l’exemple que j’ai pris, Bob disposait d’une clientèle régulière qui lui permettait de travailler 15 jours par mois. Certains freelances ne sont pas aussi chanceux, ce qui me permet à nouveau d’insister sur l’importance de se lancer en ayant un modèle économique viable et des leviers d’actions permettant d’y arriver.
Conclusion
Comment conclure… Je dirais que le statut de freelance/travailleur indépendant n’est pas une recette miracle. Il y a plein d’attraits et de difficultés, beaucoup de challenges excitants et d’autres moins.
Incontestablement, c’est une façon de travailler qui réjouira ceux qui aiment les défis permanents et les missions nouvelles, qui n’ont pas peur de se vendre et qui aiment réseauter. C’est une source de stimulation intellectuelle permanente, une façon de vivre et de travailler comme on le souhaite, et lorsqu’on choisit ses clients, une liberté quasi absolue dans ses projets. Cela peut aussi être une première marche vers l’entrepreneuriat et la création d’un projet d’entreprise ou d’association.
Ce sera plus difficile pour les introvertis, ceux qui n’aiment pas parler argent, qui se répugnent à relancer leurs clients mauvais payeurs, ou simplement ceux qui ont une famille qui compte sur eux. Je pourrais effectivement parler de l’insécurité de l’emploi qui peut en effrayer plus d’un, de l’absence d’avantages multiples comme les tickets restaurants (remplacés par les notes de frais cela dit), les CE, les congés payés, les congés maladie, etc.
Tout ça est à mettre dans la balance au moment de prendre sa décision. Et d’ailleurs, pensez au portage salarial, qui peut être un très bon entre-deux. Pour l’instant, je ne regrette pas mon choix !
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